Au RN, est-on cocu de naissance ?

« Tu n’es donc pas cocu par accident : tu es cocu de naissance. »
Marcel Pagnol, la femme du boulanger

À Perpignan, les clowns sont bien tristes.

Petits enfants émerveillés par de la verroterie

En une semaine seulement, deux projets à caractère économique et immobilier ont été mis en avant par la municipalité de Perpignan. Dans les deux cas, la naïveté des élus RN sur le plan économique a été flagrante.
Un porteur de projet vient avec un gros chiffre, et, zou, les yeux des élus pétillent comme ceux de petits enfants devant un sachet de bonbons ou de la verroterie.

Lorsque Frédéric Gourier essaya de défendre le projet du Mas Delfau, il ne put qu’ânonner « 18 millions ! 18 millions ! », montrant son incapacité à défendre le modèle économique du projet.
Pas sûr que ce projet ait un vrai modèle économique d’ailleurs. Ça ressemble bien au projet classique du promoteur immobilier qui achète un terrain à pas cher, qui construit des locaux de faible qualité et les revend en espérant faire une bonne plus-value. D’ailleurs, comme l’a rappelé Frédéric Gourier, ce type de transaction est courant à Perpignan : selon ses dires, Perpignan Méditerranée Métropole vend des terrains à chaque conseil. Voyez si c’est banal.
Aucun propos sur le fond du dossier, juste un « 18 millions ! », lancé comme une prière en plein cœur d’une tempête en mer.
Pas de fond, juste un chiffre.

À la toute fin du conseil municipal, Louis Aliot s’est expliqué sur le projet de parc à thème dédié au cinéma. Et là aussi, c’est pathétique.
Un type vient avec un projet annoncé à 500 millions, et qui, au dire de monsieur le maire devrait créer 2 000 emplois, et tout le monde est prêt à massacrer 60 hectares de terres agricoles !
Et là aussi, aucune analyse du modèle économique !
Le promoteur promet 2 millions de visiteurs par an, ce qui mettrait ce parc dans le top 5 des parcs à thèmes en France, juste entre le Puy du Fou (2,3 millions de visiteurs en 2022) et le Futuroscope (1,9 millions de visiteurs en 2022). Il va falloir dépenser des dizaines de millions en communication chaque année pour arriver à ce niveau de fréquentation.
Quant au nombre d’emplois, à titre de comparaison le Puy du fou c’est 300 CDI et 2 250 saisonniers.
Pas de fond, juste des chiffres.

Analyses succinctes des risques qui pèsent sur les projets

Les élus évacuent aussi, d’un revers de main, tous les problèmes que ces projets posent.
Pour le parc à thème il va falloir réviser le PLU, alors que le SCOT vient juste de tomber. L’enquête publique va aussi être musclée : il faudra mettre le projet économique sur la table, et vu qu’il est délirant, ça ne passera pas. Beaucoup de temps et d’énergie seront perdus pour rien.

Pour le Mas Delfau c’est l’eau qui pose problème.
À en croire les élus une étude hydrologique aurait montré qu’il n’y aurait pas de problème de prélèvement, et, de toute façon, comme le dit Frédéric Gourier, l’eau va à la mer via l’agouille de Foncoberta, « sans aucune utilité ». Étant membre d’un parti qui a fait du déni de la science un de ses fonds de commerce, il est logique qu’il n’ait jamais entendu parler du cycle de l’eau. Si jamais il désirait en entendre parler, et voir ce qu’il se passe quand l’eau ne va plus à la mer, il lui suffira d’aller discuter avec les élus de Béziers qui travaillent, eux, en coopération avec la Coordination Rurale, sur des moyens de lutter contre la salinisation de la vallée de l’Orb. Il découvrira le problème du « biseau salé », qui, accessoirement, menace déjà la Salanque.
Concertant l’étude, il est tout à fait possible qu’elle soit du même acabit que le rapport du BRGM dans le cas du projet de Sainte-Soline : qu’est-ce qui nous prouve que le changement climatique a été pris en compte ?
Petit problème, lié à la sécheresse, qui n’est pas près d’effleurer l’esprit des élus : les cyanobactéries.
En effet, en cas de sécheresse, les prélèvements seront interdits, il ne sera donc pas possible de renouveler l’eau des bassins pour le téléski, et le risque d’apparition de cyanobactéries est réel. Le lac de Villeneuve-de-la-Raho a déjà connu ce problème ces dernières années. Ce problème devra être réglé en amont, sous peine de voir les bassins fermés au public chaque été.

Mas Delfau : un modèle financier douteux

Le projet prévoit la construction de 10 000 m² de bureaux et son coût prévisionnel est de 18 millions. Croisons ces deux données pour en faire une information.
Le prix d’un m² de bureau est aux alentours de 1 500 à 2 000 €, il peut être plus élevé s’il s’agit de bâtiments de type « écoresponsable ». 10 000 m² doivent donc coûter entre 15 et 20 millions d’euros. En partant sur une base 15 millions pour les bureaux, et en considérant que des travaux d’aménagement, comme un parking de 300 places, devront être réalisés, avec seulement 18 millions d’euros il n’est pas possible d’aménager un espace ludique. Pour rappel, le camping de luxe à Château-Roussillon, en 2018, devait coûter 25 millions pour 500 bungalows. Et ce projet était moins ambitieux que celui de la société Hectare.

En dessous de 25 à 30 millions, le projet du Mas Delfau n’est pas crédible. Avec quelques connaissant en montage financier cela saute aux yeux.
Le projet ludique et aquatique étant prévu dans une zone naturelle il devrait y avoir une enquête publique et un avis de la MRAE. Ce sera l’occasion de jeter un œil au dossier économique.

Incompétence économique et refus du réel

Le département et la ville vont mal économiquement depuis des décennies. Les élus qui se sont succédé aux affaires depuis les années 1950 n’ont jamais vraiment eu de vision. Hormis une sérieusement propension à investir dans le béton, les politiques publiques n’ont jamais eu de réel impact économiques. Les rares succès locaux sont dus principales à des acteurs privés.
La culture économique des décideurs locaux, quelle que soit leur famille politique, est proche du néant. Les discours autour de l’école 42 montrent bien la déconnexion avec le réel. Ce projet aurait dû être mis en œuvre il y a 25 ans, au moins, et il est lancé sans cohérence avec IMERIR et l’UPVD.
Face à ce vide intellectuel, « vendre » des chiffres est le seul réconfort. Et plus ils sont gros mieux s’est. Tant pis pour la crédibilité des projets et l’aspect clownesque du procédé. Le public veut de la farce, les élus lui en donnent.

Seul hic, nos élus sont des clowns tristes.

À Perpignan, les clowns sont bien tristes.

La femme du boulanger, sur le site archive.org. La citation est vers 2:00:00.

Sources et liens

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