Accessibilité des transports en commun : quand l’APF66 déraillent

L’accessibilité est souvent l’occasion de se payer une bonne tranche de rigolade. D’habitude on se moque des collectivités territoriales qui ont une certaine capacité à faire n’importe quoi.
Mais malheureusement des fois c’est de ceux qui promeuvent l’accessibilité dont on peut se moquer.

Mise à jour du 21 août 2013 : après près de neuf mois, l'APF 66 a corrigé une (petite) partie des problèmes. La fiche concernant l'arrêt de bus Massilia a été modifiée.
Toutefois, la majorité des fiches réalisées en 2012 contiennent des erreurs concernant les aménagements relatifs aux handicaps visuels, mentaux et auditifs. La direction de la délégation ne souhaite pas répondre aux critiques et préfère faire le dos rond en espérant que je me lasse.

Les faits, rien que les faits

Depuis 2012 l’APF66 travaille en partenariat avec Perpignan Méditerranée Communauté d’Agglomération (PMCA) et son prestataire transport, la CTPM, sur l’accessibilité des transports en commun.
Sur une période couvrant 2012 et 2013 l’intégralité des arrêts de bus sur le territoire de PMCA doit être évaluée. Des fiches doivent être mises en ligne. Et, à terme, les travaux de mises en conformité doivent être réalisés.
L’accessibilité des arrêts de bus est plus difficile à réaliser que celle des bus, en effet le renouvellement naturel des véhicules entraine une mise aux normes automatique. De plus le coup de réalisation d’un point (un arrêt pouvant comporter plusieurs points) peut être assez élevé en fonction de l’état des lieux, de 10 000€ à plusieurs dizaines de millier d’euros.

Au niveau nationale la position de l’Association des Paralysés de France est claire : une ligne de bus n’est accessible que lorsque que l’intégralité des arrêts sont accessibles.
Au niveau départemental c’est plus flou, un billet dans l’Indépendant (le journal du coin) laisse entendre que certaines lignes sont accessibles alors que tous les arrêts ne le sont pas franchement.
Vous me direz qu’entre Paris et Perpignan il y a près de mille kilomètres et que comme le courrier est encore livré par diligence il y a un peu de déperdition au niveau de la qualité de la communication, et vous auriez bien raison de le dire. C’est vrai que passé Narbonne les chevaux commencent à fatiguer.
Mais comme la mairie à promis un pigeonnier public, on peut espérer une amélioration d’ici 2014 et les prochaines élections municipales.

Cas concret

L’accessibilité concerne tous les handicaps, les femmes enceintes, les personnes âgées, etc., et pas seulement les personnes à mobilité réduite, notamment celles en fauteuil roulant. C’est bien pour cela que les associations parlent de l’Accessibilité Universelle.

Voici deux petits liens là-dessus, si vous désirez en apprendre un peu plus :

Partant de ce constat, l’évaluation des arrêts de bus doit concerner les quatre handicaps. Et c’est là que ça se corse.
Pour me la jouer critique de cinéma à l’américaine, je dirais que l’exemple suivant est un peu l’acmé du travail réalisé pour l’instant. Il s’agit de l’arrêt Massilia.

Le PDF en question : http://www.accessibilite-apf66.org/pdf/arretbus/MASSILIA.pdf

L’arrêt dans le rond-point (arrêt de la CAF pour les gens du coin) est situé à ces coordonnées GPS :
latitude : 42.700100,
longitude : 2.934809.
Si vous zoomez dans Google Maps les deux arrêts sont signalés par un logo bleu.

À en croire l’APF66 ces deux points sont parfaitement accessibles pour un mal-voyant (catégorie « amélioré »), accessible sans accompagnement pour un handicapé mental. L’arrêt de la CAF (celui situé dans le rond-point) est accessible avec accompagnement pour une personne en fauteuil roulant.

Le problème c’est que ces deux points ne sont en rien accessibles, quel que soit le handicap, et que celui sur la bretelle d’accès n’est même pas sécurisé, notamment pour les mal-voyants.

Explication

Je ne parlerais pas du handicap auditif, n’ayant pas de compétence pour ce qui concerne la mise en accessibilité des transports en commun pour ce type de handicap.

Le point situé dans la bretelle

Pour l’accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR) le problème est simple : la rampe d’accès des bus ne peut pas sortir, un fauteuil roulant ne pourra donc pas monter. À ce niveau-là l’évaluation est correcte.
Pour les deux autres handicapés évalués, par contre, on reste sans voix.
Pour arriver jusqu’à point il faut marcher plusieurs mètres sur une chaussée qui ne comporte pas de trottoir. De plus aucun équipement ne vient sécuriser le cheminement. Une personne aveugle ne peut donc pas savoir si elle marche sur le bord de la route ou sur la route.
Dans le cas où cette personne se déporterait sur sa droite pour éviter les voitures, elle risque de tomber dans le léger fossé qui borde la bretelle. Au risque de se blesser, ça va sans dire.
Le problème est le même pour le handicap cognitif, l’absence de signalisation et de repère visuel rend ce point non-accessible et potentiellement dangereux.
Cerise sur le gâteau, l’absence de quai oblige les mal-voyants à enjamber un vide d’une trentaine de centimètre pour monter dans le bus. Seul, cela est relativement difficile.

L’arrêt de la CAF

Ce cas est plus complexe et illustre bien un problème lié au concept de cheminement.
Un arrêt est-il accessible si son environnement ne l’est pas ?
Je suis convaincu que non. L’APF66 semble le penser.

L’environnement

Cet arrêt dessert deux points intéressants (les points of interest, POI, qu’on trouve sur les forums d’OpenStreetMap). D’abord la CAF, d’où le petit nom de l’arrêt, et un lotissement résidentiel.
Pour se rendre à la CAF la PMR devra pousser son fauteuil roulant sur une bonne trentaine de mètre de terre. S’il pleut c’est de la boue. Pour un fauteuil roulant la CAF n’est pas accessible depuis cet arrêt. Ce qui est dommage, car il s’agit du seul accès piéton de la CAF.
Pour se rendre dans le lotissement la PMR devra prendre une rue avec une forte pente dénuée de trottoir. Sur streetview c’est tout à fait visible. À ma connaissance il s’agit d’une zone cinquante, donc les piétons n’ont pas à marcher sur la chaussée. Sauf à vouloir se faire écraser, bien évidemment.
Au final on se rend compte qu’il n’existe aucun cheminement accessible depuis cet arrêt. Une PMR en fauteuil descendant se retrouvera donc coincée et n’aura d’autres possibilités que de repartir avec le prochain bus.

Évidemment l’environnement n’est pas le seul problème de ce point. Il en reste deux autres.

Je suis handicapé(e) mais pas en fauteuil, je fais quoi ?

Comme c’est le cas de la majorité des arrêts de bus sur le territoire de PMCA il n’y aucun équipement pour sécuriser les mal-voyants, l’absence de bande podotactile étant typique du coin. Le sol étant en terre, aucun travail n’a été apporté sur les contrastes visuels.
Cet arrêt est donc non-accessible pour les personnes souffrant d’un handicap visuel ou d’un handicap cognitif.
La lecture des recommandations du CERTU sur les transports suffit pour bien comprendre.
Certes si ces personnes sont accompagnées il n’y a pas de problème. Manque de bol, la loi de 2005 prévoit que les personnes en situation de handicap doivent pouvoir être autonome.
Mais bon, à Perpignan, la loi…

Cicéron c’est Poincaré

Cet arrêt est dans un rond-point, le trottoir est donc incurvé. Le bus, lui, est parallélépipédique. Son emprise au sol à la forme d’un rectangle. Et ce rectangle est inscrit dans le cercle que constitue le rond-point.
Hors pour être efficace la rampe du bus doit être la plus proche possible du trottoir. Dans le cadre de la géométrie euclidienne c’est impossible.
En effet, si vous considérez le côté du bus équipé de la rampe comme une droite, vous vous apercevrait que celle-ci est sécante par rapport au cercle.
Pour que le système fonctionne il faudrait que la droite soit tangente avec le cercle. Et comme la rampe est sur le coté droit du bus, le bus devrait alors être en dehors du cercle, c’est-à-dire en dehors du rond-point. Une belle manœuvre en perspective pour le chauffeur.
Par simple réflexion on peut supposer que tout arrêt situé dans un rond-point est par essence non-accessible.

Schéma d'un arrêt de bus dans un rond-point.
Le dessin de gauche représente un bus à l'intérieur d'un rond-point (le bus est sécant) ; le dessin de droite représente un bus à l'extérieur d'un rond-point (le bus est tangent).

Ce qui est intéressant c’est que ce problème est simple à régler. L’arrêt du Parc des Expositions, situé dans rond-point du Mas Donat a été correctement aménagé. Dans streetview on voit d’ailleurs un bus à l’arrêt.
Une fois les aménagements d’accessibilité pour le handicap visuel, le handicap cognitif et le handicap auditif réalisés cet arrêt sera parfait.

Comment en est-on arrivé là ?

Une décision absurde (dire en dépit des évidences qu’un arrêt est accessible) ne se prend pas n’importe comment. La littérature sur le management parle souvent de ce type de problème. Dans le cas d’espèce on peut énoncer quelques règles.

L'Accessibilité Universelle est un nouveau paradigme

L’application de l’Accessibilité Universelle au monde qui nous entoure nous oblige à repenser ce monde. Les personnes qui militent pour l’accessibilité doivent donc aussi repenser leur vision du monde, au risque de sombrer rapidement dans l’absurde. Qu’est-ce qui empêche une société de transport de réaliser un arrêt de bus parfaitement au bord d’une piste en terre, au milieu d’un marécage ? Dans l’absolue, strictement rien. Seul le bon sens peut l’empêcher.

Les problématiques sont « techniques »

Les aveugles ont besoin de ressauts pour se repérer. Les personnes en fauteuil roulant sont fortement gênées par les ressauts. La mise en œuvre d’une solution peut tout à fait créer un nouveau problème. Les acteurs de l’accessibilité doivent donc s’entendre sur des règles et des normes communes pour limiter les tensions et satisfaire le plus grand nombre.
La qualité de personne handicapée ne donnent pas la connaissance de ces normes. Cette connaissance ne peut s’acquérir que par un travail incluant de la formation, de la sensibilisation aux différents handicaps, etc. L’expérience seule ne saurait suffire. Certains bénévoles de l’APF66 ne l’ont toujours pas compris. C’est bien dommage.
Par exemple aucun bénévole ne sera capable de parler des problèmes d’accessibilité des applications Web et smartphone des compagnies de transports en commun (dont la CTPM fait partie) sous l’angle de la certification ISO/IEC 40500:2012.

Il faut savoir rester à sa place

Même s’il traite d’accessibilité numérique la lecture de ce billet est très intéressante : http://www.tanguy-loheac.com/blog/?p=165

L’APF66 a une solide compétence pour ce qui concerne le cadre bâti ; pour la voirie elle maîtrise les problèmes liés au handicap moteur. Par contre pour tout ce qui touche aux trois autres handicaps elle n’a ni les connaissances pratiques (issues de l’expérience du handicap) ni les connaissances théoriques (issues du cadre réglementaire).
Le service accessibilité aurait mieux fait de se cantonner à ce qu’il connait le mieux, c’est-à-dire les PMR.
De nombreuses associations s’occupent des 3 autres handicaps et elles sont toutes désireuses de collaborer pour faire améliorer les choses.

Responsabilité

L’arrêt Massilia, dans la direction de Canet-en-Roussillon, est accessible pour les mal-voyants au dire de l’APF66. De plus il est accessible sans accompagnement.
C’est écrit noir sur blanc dans la fiche. Donc que se passerait-il si un aveugle se déplaçant seul a un accident à cet arrêt ? Après tout, un aveugle ne voit pas la photographie sur la fiche, il ne peut pas se faire une idée.
Même si la responsabilité pénale de l’association ne sera pas forcément engagée, sa responsabilité morale le serait.
Mettre l’accessibilité au-dessus de la sécurité des personnes témoigne d’un manque total de sens des responsabilités.

Et après ?

La majorité des fiches mises en ligne pose problème, à des degrés divers toutefois.
Ce qui est certain c’est que le handicap visuel n’est pas été pris en compte sérieusement.
Les responsables sont prévenus.
À eux de déterminer ce qu'est censé être une société inclusive.

Commentaires

1. Le mardi, août 6 2013, 14:33 par Olivier

Bravo pour ce billet fort bien documenté sur un enjeu réel : la compétence versus la légitimité. Quand bien même une association serait légitime, représentant les personnes concernées, ses délégués ne sont pas forcément compétents pour tout. Savoir tirer les ficelles politiques pour avoir des entrées ne demande pas les mêmes compétences que s'assoir et décider sur un plan de transport, considérant les générateurs de déplacements, les cheminements adjacents, les obstacles et solutions, ... S'il faut de tout pour avancer, il est assez rare que tout le monde puisse être compétent dans tout. Cela fait plusieurs années que je milite au sein du mouvement associatif et je constate que notre incapacité à discuter de compétence nous empoisonne l'action, répéter des codes et des normes n'équivaut pas à comprendre le processus de conception permettant la meilleure accessibilité.

Bonne continuation,
Olivier

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