Journée de l'accessibilité à Perpignan: pourquoi j'étais contre.

Le 20 octobre dernier l’AFM66 et l’APF66 organisait « la journée de l’accessibilité » pour le compte de l’association Jaccede.com. Quantitativement ce fut un succès.
Mais à mes yeux, qualitativement ce ne fut pas succès.

Morale ? Éthique ? Et ce genre de balivernes.

Au moment de mettre mes idées sur le papier je m’aperçois que le gros des arguments qui me viennent en tête est d’ordre moral.

L’un de mes défauts, pas le plus gros mais sans doute le pire, et d’être franchement moralisateur. Avec « une morale à deux balles » comme me l’a si justement signalé une des salariés de l’APF66 un jour de grande franchise. Étant en plus dur, voire facilement méchant, j’ai tendance à jouer les Torquemada.

Ce qui ne m’empêche pas de rentrer dans la catégorie « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

Logiciel privateur

Depuis 1999 j’appartiens au monde du logiciel libre. À mes yeux Jaccede.com appartient à la famille des logiciels que des gens comme Richard Stallman appellent des « logiciels privateurs ». L’association APRIL l’a bien senti et en parle sur son site.

L’utilisation de Google Maps ne me choque pas. Je l’utilise aussi et il faut reconnaître qu’OpenStreetMap a encore des lacunes.

Le recours à l’utilisation exclusive de l’API de géolocalisation de Google me gêne. Au sein de l’APF66 j’avais réussi à la contourner, moyennant quelques soucis techniques et pas mal de stress (pour les bénévoles).

Jaccede.com s’expose à une perte de contrôle de ses données, c’est Google qui est propriétaire des coordonnées GPS, et à une augmentation du coût de la géolocalisation proportionnelle à l’augmentation du trafic du site.

En clair plus il y aura de visiteurs plus Jaccede.com devra payer Google pour les coordonnées GPS.

Association ou entreprise ?

Lors des discussions entre APRIL et Jaccede.com, les responsables de Jaccede.com ont clairement fait savoir qu’ils ne libéreraient pas les informations sur les commerces référencés. Ces informations sont et resteront propriétés de Jaccede.com, bien qu’elles soient saisies bénévolement par les jaccédeurs qui n’ont pas de véritable droit de regard dessus.

L’absence de conditions d’utilisations des données pose un problèmes de droit, et pas seulement au regard de la législation française.

Si Jaccede.com est prête à libérer le code source du site et à abandonner l’API Google, l’association garde la main sur les seules données ayant une valeur marchande.

De plus l’accès à l’API Jaccede.com est partiellement contrôlé, sans que les conditions pour l’utiliser soient notifiées par avance. Même Facebook est plus transparent sur ce point.

Si une association veut utiliser des méthodes d’entreprises pour se financer rien ne l’en empêche. Mais au moins que les utilisateurs soient avertis avant de s’inscrire.

Outil collaboratif ou réseau social ?

De nombreux outils collaboratifs existent sur le Web, Wikipedia et OpenStreetMap en sont peut-être les plus remarquables.

Pour assurer le bon fonctionnement et le sérieux des contenus ces outils sont en train de devenir des réseaux sociaux.

Presque toutes les pages de Wikipedia dispose d’une rubrique « discussion » dans laquelle les contributeurs peuvent débattre de la pertinence des contenus, voire de la pertinence des contributeurs. Certaines discussion sont parfois plus intéressantes que les articles eux-mêmes.

OpenStreetMap dispose de nombreux fora et de groupes de travail. Une nomenclature unique au niveau mondial accélère la création des cartes.

Récemment j’ai dessiné un chemin sur la commune de Perpignan, le raccord avec la route était raté. La semaine suivante un contributeur avait corrigé le raccord.

Jaccede.com ne dispose d’aucun outil de ce type. Les jaccédeurs sont laissés à eux-mêmes. Si une fiche est erronée rien ne dit qu’elle sera corrigée.

Solidarité ?

Un point important et intéressant pour m’inciter à participer fut la « solidarité ».
Certes, mais avec qui ?

L’accessibilité, c’est quoi au juste ?

En réfléchissant au problème Jaccede.com (j’ai mis trois mois à me positionner) un souvenir m’est revenu en tête, de l’époque où je lisais des livres, pour dire si c’est vieux. En fac de Droit, entre Foucault et Bourdieu, un bouquin de Compte-Sponville m’était passé entre les mains. Un essai traitant de la différence entre « Vérité » et la « réalité », pour faire cours entre subjectif et objectif.

Pour l’accessibilité c’est quasiment le même problème.
Soit l’accessibilité est subjective : je rentre donc c’est accessible.
Soit l’accessibilité est objective : le bâtiment rempli un certain cahier des charges donc c’est accessible.

Une accessibilité subjective peut très bien passer dans le cas d’une problématique personnelle. Hors dans le cas des commerces, c’est à dire d’entreprises, la subjectivité ne peut avoir cours. Un commerçant ne peut savoir à l’avance à quel type de client il va avoir affaire. De plus pour être applicable une règle doit être acceptée par le corps social. Comme l’on écrit de nombreux auteurs, le corps social est lié par un contrat social, qui dans les démocraties occidentales s’exprime par la loi.

L’accessibilité ne peut donc s’analyser que dans un cadre législatif et réglementaire.

Qui trop embrasse, mal étreint

Comme tout guide, pour être crédible Jaccede.com a besoin d’atteindre un certain nombre d’adresses enregistrées. Un guide avec 200 ou 300 adresses n’intéresserait personne. Comme la vitesse de saisie est plutôt lente, des journées et des nuits de l’accessibilité ont été mises en place. Elles permettent de saisir plusieurs centaines d’adresses d’un coup. Le 20 octobre près de 2000 adresses ont été saisies.

Or gonfler le listing de force (près de 5000 adresses étaient espérées) pose le problème de la crédibilité de ce listing.

Aucune formation n’est prévue, aucun contrôle n’est prévu. En gros, n’importe qui peut mettre en ligne n’importe quoi.

Une question bête : vous préférez quatre ou cinq adresses fiables ou cinquante douteuses ?

Et les autres ?

Solidaire ? Avec qui ? disais-je au début de cette section.

Jaccede.com ne prend en compte que les problématiques liées au handicap moteur, même si clairement l’association ne mésestime pas les problématiques des trois autres handicaps.

Or, entre la tête et la base il y a toujours de la perte d’information.

Sur le terrain, donc, un seul des quatre handicaps est réellement pris en compte.

On est donc solidaire mais entre gens du même monde. Si les aveugles veulent se faire entendre ils n’ont qu’à se balader en fauteuil.

Ce que l’AFM66 et l’APF66 n’ont pas l’air d’avoir compris.

Je sais que la critique est aisée et que l’art est difficile. Et que c’est encore plus vrai lorsqu’on n’a pas participé.

Quantitatif

En un mois et demi les deux associations ont mobilisé plus de 80 personnes. Ces jaccédeurs 66 ont saisi un peu plus de 280 adresses, faisant passer le listing de Perpignan de 30 à 310 adresses.

Pour ce qui est de l’organisation et du bilan chiffré il s’agit d’un franc succès. Perpignan représente près de 15 % des adresses collectées ce jour là.

Pour une fois que la ville s’illustre de façon positive.

Qualitatif

En allant se balader en ville avec le listing en poche on s’aperçoit vite que l’écart entre le nombre de commerce listé sur Jaccede.com et le nombre de commerce remplissant les obligations légales est important.

Une première analyse rapide, qui demande à être peaufinée, laisse à penser que 20 à 30 % des fiches saisies sont erronées.

Les erreurs vont d’une géolocalisation fantaisiste (merci Google) à des restaurants dont les toilettes sont en sous-sol (l’escalier n’ayant pas de bandes podotactiles évidemment).

D’un point de vue intellectuel la gestion de la fiabilité des données et donc de la pertinence du guide peut se poser.

Bien-Mal ou débit-crédit ?

Les commerces sont des entreprises et une entreprise ne se gère pas avec des bons sentiments.

Certes la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est en train de devenir une obligation légale et elle a un impact en termes d’accessibilité. Mais la majorité des entreprises locales sont des TPE. Et même au niveau national peu d’entreprises disposent de marges de manœuvres financières.

Tenter d’amadouer un patron de TPE avec des histoires de morales ou de solidarité est la meilleure façon de se faire claquer la porte au nez.

Seul un discours cohérent, rappelant les obligations légales (travailleurs handicapés, Document Unique, RSE, accessibilité, etc.) peut-être audible auprès des entreprises. Encore plus en période de crise.

Et après ?

Une fois visitée, l’autocollant Jaccede.com fièrement affiché sur la vitrine, que fait l’entreprise ?

Réponse : rien !

Qu’est-ce qui fait la crédibilité d’un expert ? Non pas sa connaissance d’un sujet mais pas moins la confiance qu’il inspire.

Un groupe de trois personnes, dont une en fauteuil, sera tout aussi crédible qu’une personne mandatée par un quelconque bureau d’étude. Les jaccédeurs vous ont dit que vous êtes accessible, donc vous l’êtes. Et tant pis pour la loi.

L’écrasante majorité des commerces sont des ERP de catégorie 5, et pas qu’à Perpignan, c’est à dire qu’il ne seront jamais contrôlés.

Pour l’instant l’AFM66 et l’APF66 n’ont pas parlé d’un projet de contrôle massif. Mais j’admets ne pas être au courant de tout.

Conclusion

Je sais que je suis facilement vindicatif voire insultant. Sauf que de temps en temps ça en vaut la peine. Parait-il, il faut 50 ans pour renouveler le tissu urbain. C’est à dire que si l’échéancier de 2015 est maintenu la France sera accessible en 2065.

À vue de nez, la majorité des jaccédeurs du 20 octobre seront mort ou pas bien loin de l’être à ce moment là. On peut être patient, on peut ne pas être patient.

Personnellement je ne suis pas patient, par contre je sais qu’on peut fournir une grosse quantité de travail et échouer. C’est surtout la qualité qui prévaut, et qui est seule garantie du succès.

Quantité ou qualité : choisis ton camps camarade ;)

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