Du big data dans le compteur

EDF veut poser les compteurs linky à marche forcée. D’ici 2021 35 millions de compteurs doivent être mis en ligne. Pourquoi ne pas le faire petit à petit, à chaque remplacement et à chaque création de nouveau bâtiment ?
Petit éclairage économique (attention ce billet contient pas mal de subjectivité).

État du marché de l’électricité en 2016 et prospective

Un réseau Européen

Semble-t-il fin mai 2016 plusieurs centrales nucléaires ont connu un mouvement de grève. Quelqu’un s’en est-il aperçu ? Grosso-modo personne.
En fait le réseau européen est totalement interconnecté. Les blackouts n’ont lieu que dans des zones mal desservies et, généralement, en bout de chaîne (la Bretagne par exemple). Lorsqu’un opérateur fait partiellement défaut un autre peut facilement le suppléer.
Par exemple en été EDF, qui est alors en surproduction, exporte massivement. En hiver EDF, qui est alors en sous-production, importe massivement.
Pour créer une pénurie d’essence en France il suffit de bloquer 5 % des réserves. À 15 % le pays revient au Moyen-Âge. Par contre pour l’électricité le blocage de la capacité de production devrait être beaucoup important et beaucoup plus long.

Multitude de producteurs et homogénéité du produit

Produire du pétrole prend soit des millions d’années (processus naturel) soit de gros moyens industriels (pétrochimie). Il n’est donc pas possible pour le commun des mortels de produire le carburant de sa voiture dans son garage.
Par contre produire de l’électricité est beaucoup plus simple. Entre la pomme de terre servant à allumer une petite ampoule et la centrale thermonucléaire les possibilités techniques sont gigantesques.
De nombreuses personnes, physiques ou morales, produisent de l’électrique. Soit elles la revendent, soit elles la consomment.
La particularité de l’électricité c’est que, quel que soit le mode de production, le produit est basiquement le même : des électrons qui se déplacent dans un fil de cuivre. C’est sans doute le seul secteur d’activité où la concurrence pure est parfaite peut s’appliquer sans trop de problème.
Les arguments commerciaux portent donc surtout sur le coût (prix du kilowatt/heure), le mode de production (écologique, local, etc.) ou la garantie du service.
Le nombreux de producteurs en France et en Europe est donc très important. En comptant tous les propriétaires de panneaux photovoltaïques on doit dépasser les 100 000 producteurs. Et ce nombre va en s’accroissant.

Le nucléaire ça coûte de plus en plus cher

Courant novembre le patron d’EDF, répondant aux mouvements écologistes investis dans la COP21, avait demandé le financement de 30 à 40 EPR d’ici 2050.
En effet dans 34 ans la quasi-totalité des 58 réacteurs français devra être arrêtée. L’âge de ces réacteurs, plus de 70 ans pour certains, rendra le coût du rallongement de leur vie largement supérieur à la construction de nouvelles centrales.
Hors les EPR en question doivent être livrés avant la fermeture des anciennes centrales, sinon EDF s’expose à une baisse de production non maîtrisée et donc, dans un marché concurrentiel, à une perte de part de marché. Les plans de financement doivent donc être bouclés avant 2020/2025. C’est-à-dire qu’il faut s’y préparer dès maintenant.

Émergence de réseaux locaux « fermés »

Les USA, qui ont connu pas mal de blackout ces dernières années, voient émerger des réseaux locaux de production et de distribution soutenus par des collectivités territoriales non relié aux réseaux nationaux.
La gestion par informatique (smart grid) permet une meilleure gestion de la production et de la distribution et par voie de conséquence des coûts. Ces réseaux disposent aussi de technologies plus récentes et donc plus performantes.
Dans les décennies à venir rien ne semble, à priori, empêcher l’apparition de ce type de réseaux en Europe et en France.

Stagnation de la consommation

Globalement la croissance du PIB et la croissance de la consommation d’électricité vont ensemble.
Sauf révolution technologique majeure, dans les décennies à venir l’Europe ne va pas connaître de forte croissance. La moyenne annuelle devra être comprise entre 1,5 et 2 %.
À 2 % de croissance annuelle il faut 35 ans pour que la demande double. Si dans le même temps le nombre de producteurs augmente fortement (et je passe sur la sobriété énergétique) les possibilités de développement pour les acteurs historiques sont faibles.

Conclusion

EDF est donc confrontée à une situation assez simple :

  1. La concurrence augmente fortement et le choix du client va se faire de plus en plus sur des critères qualitatifs (le produit de base étant le même) ;
  2. Les coûts de productions de la filiale thermonucléaire ne vont cesser d’augmenter ;
  3. La consommation d’énergie ne va pas croître fortement dans les décennies à venir.

En gros on peut tabler sur une baisse des revenues liés à la production d’électricité, à une stagnation des revenus liés à la distribution (les nouveaux acteurs n’auront qu’un besoin partiel du réseau) et à une augmentation des dépenses (notamment liées au nucléaire).
En somme baisse des recettes et augmentation des charges. Ce qui veut dire « déficit ».
Hors lorsqu’une entreprise est en difficulté sur son cœur de métier que fait-elle pour compenser ? Elle cherche des activités plus lucratives, notamment parce qu’elles ne coûtent pas cher à mettre en œuvre.
Et qu’est-ce qui coûte rien et qui rapporte gros en ce moment (mis à part l’armement) ? Le big data.

 

Comment faire du big data quand on est électricien ?

C’est la question à 5 milliards d’Euro. Et la réponse est tellement évidente.
Si les compteurs appartiennent encore aux mairies, l’exploitation est du ressort d’EDF et de ses filiales. Donc pourquoi ne pas vendre des services autour de cette petite bêbette ?

Les linky sont des systèmes embarqués, grosso modo, comparable à des mini-ordinateurs. Un peu sur le modèle des box ADSL ou des smartphones. Et comme ils sont « connectés » ils peuvent interagir avec tous les appareils « connectés » dans leur voisinage. On parle de IoT, Internet of Things, en français l’Internet des Objets.
Ces appareils échangent des données entre-eux. Le linky récupère donc ces données et les fournit à la filiale ad-hoc d’EDF.
À partir de là EDF mouline les données et agit en conséquence. C’est particulièrement utile pour gérer finement le réseau.
Par exemple si votre boîtier contrôlant la climatisation (un Nest par exemple) informe le Linky qu’il fait 20° chez vous et que le réseau est saturé alors le système central peut prendre la main sur le boîtier et lui demander de se mettre en pause le temps que soit la température diminue fortement dans votre salon soit la demande globale diminue.
La centralisation des informations et leur gestion est une prestation qui peut être vendue aux différents producteurs utilisant le réseau ErDF. Et ça fait du monde, vu que pour l’instant tout le monde, ou presque l’utilise.
Comme ça ne coûte pas trop cher (un data center et quelques dizaines d’employés) c’est assez rentable.

L’analyse de la consommation des clients, que se soit de façon grossière (à quelle heure, quelle quantité, etc.) ou que de se soit d’une façon fine (les frigos connectés c’est tellement hype), permet de générer des volumes colossaux de données revendables aux boîtes de marketing direct qui pullulent.
Jeter un coup rapide à un outil d’analyse Web (y compris Piwik) donne une idée de l’étendue des possibilités en termes de marketing.
Par exemple depuis 2015 Piwik est capable de repérer les connexions depuis une voiture connectée. De prime abord ça paraît ridicule, sauf que pour des gens comme moi qui travaillent dans la cartographie Web c’est pertinent. L’usage d’une application de guidage n’a pas le même sens sur un ordinateur de bureau ou au volant d’une voiture. Si en plus on peut avoir le modèle c’est sympa aussi (faut bien vivre, mon bon monsieur).

La mise en place rapide de ce type de compteur permet d’espérer un retour sur investissement rapide. D’ici 2020 le taux d’équipement en objets connectés devrait fortement augmenter, notamment chez les clients les plus solvables. Le chiffre d’affaires pour EDF devrait alors être assez important.

Oui, mais moi je ne donne pas mes données !

Donc vous vivez sur une île déserte et vous ne lisez pas ce billet en ce moment.
L’occidental moyen n’a aucun problème à donner, gratuitement ou presque, ses données personnelles en échange d’un service plus ou moins utile.
Par exemple les utilisateurs de gmail acceptent sans rechigner que Google analyse tous leurs messages (entrants et sortants) pour des raisons de marketing. C’est dans le contrat d’utilisation, qui doit être absolument accepté pour utiliser ce service.
Je passe sur Facebook qui se réserve le droit d’utiliser toutes les données que les utilisateurs y mettent en ligne, bénévolement bien sûr.
Dans le cadre de la domotique ça va plus loin, en tout cas aux USA, vu qu’il semble possible de prévoir contractuelle le mise en panne d’un appareil à distance juste parce que le fabricant veut le retirer du marché.

Je n’ai pas envie d’aller plus loin, vu que cela reviendrait à répéter le discour que tiennent les libristes depuis 35 ans, environ.
Mais comme Windows, Android et consort dominent le monde, il faut croire que les gens aiment le gravier.

Bref, EDF à besoin du Linky pour vendre du service et des données à de nombreuses sociétés liées au Big Data. Ce secteur est en plein boom et semble prometteur en termes de bénéfices. Des sociétés comme Facebook ou Google génèrent déjà des milliards de dollars de chiffre d’affaires avec des moyens finalement moins intrusifs et plus rudimentaires, il n’y a pas de raisons qu’EDF ne fassent pas de même.
Et puis quand on a 35 millions de clients captifs pourquoi se priver.

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