Perpignan : la ville où l’on brise ses chênes

De prime abord ça partait juste pour être une histoire d’abattage d’arbres. Un truc simple, du déjà fait. Du facile. On ressort le dossier des marronniers de Montesquieu, qui avait bien fait marrer à l’époque, on adapte un peu, et hop, l’affaire est dans le sac.
Sauf que, c’est un peu plus que des chênes sur le coup dont il s’agit.
C’est surtout des magouilles et une vision de la ville qu’il faut dénoncer.

Et au milieu coule un canal

Fut un temps, le canal de Perpignan, descendu de Vinça, coulait là. Des chênes poussaient au bord de l’eau. Une ripisylve que ça s’appelle. Les chênes coulaient des jours heureux.
Puis vinrent les années 60 et Paul Alduy.
Paul était un bâtisseur, un visionnaire, et un ami de mon grand-père. Mais ce détail n’est pas important. La plaine était belle, il y bâtirait des villas. Ainsi donc, le 18 juillet 1969, le conseil municipal décida de lotir au bord du canal. Le quartier s’appellerait « les universités » et tout le monde serait heureux. Accessoirement des commissions occultes seraient versées, mais comme Paul l’écrivit un jour à mon grand-père « ce texte est une infamie ! Pour moi il n’existe pas. »
Le canal fut dévié, le quartier prospéra, des enfants y grandirent. Et qui dit « enfants » dit « école maternelle ».
Ainsi donc, le 29 avril 1970, le conseil municipal décida d’acheter la parcelle BC 363, de 4 000 m², pour y bâtir une maternelle. J’ai nommé l’école Fons Godail.
Le 8 juin 1970, par arrêté préfectoral, l’achat fut sacralisé.
Retenez bien la date, on y reviendra.

Une autre idée de la ville

Les années et les bambins passèrent. La ville se développa et d’autres maternelles furent construites. Dans les années 1990 l’école Fons Godail ferma. L’université récupéra les locaux et les utilisa quelques années. J’y ai suivi de vagues TD de droit constitutionnel. Un petit escalier en béton rappelle au flâneur cet événement.
Le 26 janvier 1999, le conseil municipal décida de désaffecter l’école et de la déclasser du domaine public. Peu de temps après les maigres bâtiments furent rasés.
30 ans d’histoire scolaire finirent sous forme de gravats.
Il ne restait plus qu’à vendre au plus offrant.

Ce fut fait en 2014. Jean-Marc Pujol, le meilleur dans le pire, trouva un acquéreur pour la parcelle BC 363. un promoteur du coin, la SARL Talon, en offrait 480 000 €, TVA incluse. Sans être élevé, le prix était correct.
Le 6 novembre 2014, le conseil municipal vota donc une délibération fixant les conditions pour la vente. Dans les clauses suspensives une seule mérite notre attention : le permis de construire ne peut prévoir que 8 logements au maximum.
Pour les esprits primitifs, c’est-à-dire ceux qui pensent que Jean-Marc Pujol est un rempart contre le fascisme, l’affaire était dans le sac.
Mais on est à Perpignan, mon gars ! Ici on ne fait rien comme les autres. Et c’est là que ça part en sucette.

Le panneau affichant le permis de construire.

En 2018 le promoteur déposa sa demande permis de construire. Cette dernière comportait 12 logements, mais le 10 novembre 2018 elle fut acceptée. Quelques jours plus tard, rue Thomas Carrère, le permis de construire fut affiché. L’affichage était discret, mais il est de coutume que les panneaux d’information soient planqués.
Permis de construire en poche, le promoteur n’avait plus qu’à retourner au service urbanisme et signer l’acte de vente.
Et là, c’est le drame.

À la recherche du parchemin perdu

Pour vendre un bien il faut prouver que l’on en est le propriétaire. Et, allez savoir pourquoi, la mairie a perdu l’acte de propriété datant de 1970.
On fouilla de fond en comble le service urbanisme. On mit les archives sens dessus dessous. On descendit à la cave. On retrouva même les mesures à grain planquées au mas Delfau. Mais rien n’y fit. L’acte de propriété avait disparu.
L’horreur aurait pu s’abattre sur la ville.
Les 7 plaies d’Égypte s’apprêtaient à frapper Perpignan, lorsque, tel Saint Jean-Baptiste, auréolé de lumière, un gigot d’agneau à la main, sortant d’un blason séculaire, à défaut de séculier, un sauveur se leva et déclara : « Bon, le 30 juin je fous un coup de latte en travers de la gueule des Républicains, et je vous la remets droit cette putain de ville ! »
Loulou Aliot vira Pujol et reprit les affaires à son compte.

Le 10 juillet 2020, dans l’amphithéâtre de l’Hôtel d’agglomération, le cube en verre tout moche sorti de l’imaginaire délirant de Jean-Paul Alduy, le nouveau conseil municipal vota une « notoriété prescriptive trentenaire ». Il ne restait plus qu’à régler 2 ou 3 formalités administratives et la vente pouvait, enfin, être conclue.
Le 19 octobre 2020, les papiers furent signés, et le changement de propriétaire fut officiel.
Mis à part quelques internautes amusés par la notoriété prescriptive et ses implications, l’affaire n’intéressa personne à l’époque.

Le promoteur pouvait lancer les travaux. Le Domaine des chênes allait sortir de terre.
Ainsi le 22 avril 2021, les travaux commencèrent par l’abattage des chênes.
La polémique qui s’ensuivit rendit l’affaire célèbre.

Le tas de bois, seule trace de l'abattage des arbres.

Ne pas confondre Ach!lle Talon et talon d’Achille

Intéressons-nous au promoteur. Il n’a pas été inactif depuis 2014.
La délibération de 2014 imposait, entre autres, au promoteur 2 choses :
— prévenir les voisins ;
— ne pas lancer de projet de plus de 8 logements.

Une infographie présentant le projet, utilisée en 2020 pour la vente des villas.

Pour prévenir les voisins, et s’assurer qu’ils soient bien au courant de l’imminence d’un projet immobilier, le plus simple et le plus efficace était de disposer un grand panneau sur le terrain. Avec le nom du projet et le contact du promoteur dessus, personne ne peut dire que l’information n’était pas disponible.
La demande de permis de construire fut acceptée en 2018, à partir de ce moment de la publicité sur les sites spécialisés fut faite. C’est ainsi que durant l’été 2020 il était possible de voir une infographie présentant le « Domaine des chênes » dans les pubs qui s’affichent sur le site de l’Indépendant. Ces infographies, dont une grande partie a disparu depuis, montraient un projet proposant 12 logements.
Une fois la vente finalisée en octobre 2020, il ne restait plus qu’à lancer les travaux. Ce fut chose faite en avril 2021.
On notera qu’entre novembre 2018 et octobre 2020, soit pendant près de 2 ans, le promoteur a cherché à vendre des terrains qui ne lui appartenaient pas encore.
On est à Perpignan, rien d’étonnant.

Détail du panneau affichant le permis de construire.

Basiquement que retenir de tout ça ?

D’abord qu’à la mairie de Perpignan les actes de propriété disparaissent.
Cela devrait suffire à motiver un inventaire précis du patrimoine municipal et à une vérification des documents correspondant.

Ensuite que le travail de suivi des délibérations du conseil municipal n’est clairement pas réalisé. La délibération de vente votée en 2014 interdit de construire plus de 8 logements sur cette parcelle. Pourtant un permis de construire pour 12 logements semble avoir été accordé.
La mairie doit clarifier la situation, et, le cas échéant, lancer les démarches pour revenir sur la vente.

À en croire l’élue en charge de l’urbanisme, interrogée par France 3, l’abattage des chênes a eu lieu en violation du permis de construire. Si cela est vrai, la mairie doit saisir la justice.
Le non-respect des permis de construire doit être sanctionné. Les lois de la République doivent prévaloir.

On notera pour finir, qu’encore une fois les droits des non-humains sont foulés au pied. Un promoteur peut abattre des chênes centenaires sans trop de risque.
Dès que l’on va aborder le problème de la défense de l’environnement le laxisme des pouvoirs publics est patent.

Cela pose la question suivante : à quoi sert-il d’avoir élu un maire d’extrême droite si le laxisme et les passes-droits perdurent ?
Certains répondront : strictement à rien !

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