Hydrogène

Début février 2020 le site d’information Reporterre a publié un dossier en trois volets sur l’hydrogène en tant que source d’énergie. L’hydrogène est la nouvelle lubie des industriels et des gouvernements occidentaux. Ceux-ci tablent sur cette source d’énergie pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles tout en continuant à garder le modèle socio-économique actuel.
Le dossier étant bien réalisé et bien clair, je ne reviendrais pas dessus. Mais le sujet pose des questions que Reporterre ne traite pas. Pourtant elles méritent d’être traitées.

Rapide présentation de la situation

L’industrie et le transport, qui sont les plus gros consommateurs d’énergie, sont particulièrement dépendant aux hydrocarbures. En 2019 le pétrole, le gaz et le charbon représentaient encore 47,3 % de la consommation globale de la France. L’hydrogène paraît donc une solution intéressante pour sortir de cette dépendance.
Il faut aussi prendre en compte que, globalement, l’Union Européenne importe le gros de sa consommation de fossiles. Certains des fournisseurs de l’Union Européenne, comme la Russie par exemple, sont potentiellement hostiles. Il faut donc, pour des raisons géostratégiques évidentes, limiter la dépendance vis-à-vis de ces fournisseurs.

La production d’hydrogène est une activité industrielle, son développement participe des différents plans de relance qui ont vu le jour en Europe en 2020. Les États sont prêts à investir dans une nouvelle activité perçue à la fois comme porteuse de développement et « bas-carbone ».
La logique socio-démocrate qui domine en Europe ainsi que la logique socio-libérale qui domine en Amérique du Nord ne peuvent aboutir qu’à la mise en place d’une telle filière industrielle.

Mettre le transport en question

Le dossier de Reporterre traite du problème de l’approvisionnement en carburant du transport de marchandises. Près de 3 millions de camions circulent actuellement en Europe. Les plans pour le développement de l’hydrogène tablent sur 100 000 camions équipés d’ici 2030. Ce qui est peu et beaucoup à la fois.
Pour remplacer les hydrocarbures par de l’hydrogène comme carburant dans le transport de marchandise il faudrait fortement augmenter la production d’électricité. Et les capacités de développement de la production d’électricité sont finalement limitées en comparaison des besoins.
Clairement les décideurs politiques et économiques ne semblent pas mesurer les enjeux de la sortie de la dépendance aux fossiles.

Vouloir passer d’une dépendance, les fossiles, à une autre, l’hydrogène, est juste une façon élégante de refuser de débattre de la pertinence du « mode de production » dans lequel l’Occident vit aujourd’hui. « Produire c’est mouvoir » disait John Stuart Mill. Un siècle et demi après sa mort son analyse est encore plus pertinente.
Il faudra donc un jour ou l’autre questionner le modèle socio-économique actuel et changer de mode de production.

Une pénurie d’électricité à venir ?

La production d’hydrogène « vert », c’est-à-dire d’hydrogène produit à partir d’électrolyse de l’eau, consomme énormément d’électricité. Or la production d’électricité en Europe est plutôt stable sur ses dernières années et l’augmentation des capacités de production peut prendre des années. Construire un EPR prend 10 à 15 ans, il est donc difficile d’imaginer à court terme de voir plusieurs dizaines d’EPR dédiés à la production d’hydrogène être mis en production. De la même manière les parcs éoliens et photovoltaïques actuels n’ont pas les moyens d’alimenter une filière industrielle de l’hydrogène.
Le développement de cette filière pose donc un risque sur la possibilité d’approvisionnement des particuliers en électricité.

La concurrence entre les particuliers, les petites entreprises, et les industriels ne peut avoir lieu qu’à l’avantage de ces derniers. Pouvant payer plus cher l’énergie et étant considérés comme prioritaires par les pouvoirs publics, les industriels passeront toujours avant le reste de la population. Dans une situation de concurrence ils ont largement plus de chances d’être gagnants.
À l’heure actuelle, la question de la répartition des ressources n’est pas dans le débat public.
Il va falloir qu’elle y entre, rapidement.

Le mirage du CO2

Il faut sauver le climat, disent nos dirigeants. Tout le monde, ou presque, est d’accord sur ce point. Mais faut-il pour autant le sauver « quoi qu’il en coûte » ?
Dans une société productiviste, fondée sur l’idéologie du progrès technique infini et clairement persuadée que le « solutionnisme » technologique est la seule voie possible il est logique que les politiques publiques s’attachent à traiter les effets et non les causes. La question à laquelle les pouvoirs publics sont prêts à répondre est « comment produisons-nous du CO2 ? ». Malheureusement la question à laquelle il faudrait répondre est « pourquoi produisons-nous du CO2 ? ».
Les réponses à ces questions et leur mise en œuvre impliquent deux modèles de société bien distincts. Entre la croissance infinie et la décroissance il n’est pas sûr que notre civilisation trouve un juste milieu.

La focalisation sur le CO2 évacue aussi les problèmes de pollution et de raréfaction des ressources.
Le sable est un bon exemple de cet aveuglement volontaire.
L’hydrogène doit permettre aux camions de rouler. Soit. Mais les camions roulent sur des routes. Et les routes nécessitent du sable pour être construites. Or la pénurie de sable est une réalité que connaissent déjà pas mal de secteurs d’activité dans le monde et en France.
Rien ne garantit que dans cinquante ans il soit possible de construire de nouvelles infrastructures routières de grande ampleur.
Cette question de la pénurie de matières premières est judicieusement occultée par la lutte contre le CO2. Pourtant il faudra aussi trouver des solutions rapidement, sous peine de catastrophes socio-économiques.

La baisse de la consommation d’énergie ou la mort !

La crise environnementale et sociale que nous connaissons depuis le milieu des années 1970 est une crise liée à un « mode de production » particulièrement énergivore. En 1934 dans « réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale » Simone Weil abordait déjà le problème de la dépendance à l’énergie et du risque de pénurie dans le futur. Avec une grande lucidité, Simone Weil traitait déjà à l’époque du lien entre la capacité de production et l’approvisionnement en énergie.
Certes depuis une trentaine d’années l’efficacité énergétique de l’économie occidentale s’est améliorée, mais c’est une amélioration en trompe-l’œil.
S’il faut moins de kilowatt pour produire un euro de PIB, c’est en grand partie grâce à des gains de productivité, qui ont eu un impact fort en termes de chômage, et à la financiarisation de l’économie, dont l’impact social est aussi très fort.
La production de biens et services, et donc le mode de vie des occidentaux, restent fortement dépendante de l’énergie. Or le coût économique et environnementale de la production et de la consommation d’énergie ne cesse d’augmenter, entraînant une crise sociale et environnementale sans précédent. L’aveuglement des décideurs politiques et économiques ne peut qu’aboutir à une catastrophe.

L’hydrogène « vert » peut s’inscrire parfaitement dans un mix énergétique « bas carbone », mais ce n’est en rien « La » solution pour la sortie de la dépendance aux fossiles. C’est juste un carburant pour un marché de niche. L’absence de réflexion sur les choix de société qui caractérise les décideurs ne permet pas de sortie par le haut de la crise actuelle.
D’ailleurs il faudra sans doute s’interroger aussi sur ce vocable, car une crise qui dure depuis près d’un demi-siècle n’est peut-être plus une crise.

Liens

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blog.philippe-poisse.eu/index.php?trackback/275

Fil des commentaires de ce billet