Observations dans le cadre de l’enquête publique concernant le projet de centrale solaire « CS Bel Air »

Monsieur le Commissaire enquêteur,
Dans le cadre de l’enquête publique portant sur une demande de permis de construire présentée par la société « CS Bel Air », après lecture du dossier d’étude et des observations, j’ai l’honneur de vous faire part de mes observations et de mon avis sur ce dossier.

Télécharger le texte en version PDF : http://blog.philippe-poisse.eu/public/urbanisme/Bel_Air/observation_philippe_poisse.pdf

Avis sur le dossier d’étude

Avec 415 pages, le dossier d’étude semble assez complet. La liste des risques est exhaustive et l’évaluation des différents niveaux de risques est assez précise et argumentée.
Les deux principales menaces, assez spécifiques et nécessitant une surveillance sérieuse qui ressortent du dossier concernent, pour la flore, l’euphorbia terracina, et, pour la faune, l’œdicnème criard.
Concernant l’euphorbia terracina, l’étude montre que le risque est « modéré » au niveau global, c’est-à-dire au niveau d’une zone large autour des bassins de rétentions concernés par le projet, et qu’il est « faible » au niveau des bassins de rétentions eux-mêmes. Le détail est fourni pages 58, 59 et 60 du dossier.
Concernant œdicnème criard, l’étude montre que le risque est « fort », tant au niveau global qu’au niveau local. Il faudra à terme que les pouvoirs publics et les associations locales de défense de l’environnement soient vigilants sur l’effectivité des mesures de compensation qui doivent être mises en œuvre.
Globalement, les risques liés à la réalisation de ce projet sont très faibles. En effet, comme le montre l’analyse diachronique présentée page 54, toute la zone de Saint-Génis des Tanyères a été lourdement anthropisée ces dernières décennies. Pour parler clairement, la biodiversité et la nature ont été massacrées ces quarante dernières années par une urbanisation absurde, mal contrôlée, gérée par les pouvoirs publics sans concertation, et, dans une indifférence générale. Le projet se situe à la limite d’une zone urbanisée et massacrée du point de vue de l’environnement, comme le montre l’étude page 86. De plus, comme indiquée page 87, les canaux d’irrigation souffrent d’une pollution en grande partie causée par l’activité économique du Polygone Nord, et, pour la Llabanère, par l’aéroport.

Sur la forme, l’étude est relativement accessible pour le lecteur, elle est bien documentée, et les annexes contiennent des bibliographies.
À l’inverse d’un certain nombre d’étude que j’ai eu l’occasion de lire dans le cadre d’enquêtes publiques, cette étude ne cherche pas à noyer le lecteur sous du jargon technique et est transparente sur les données et les méthodologies mises en œuvre.
Soulignons-le, c’est un point positif.

Avis sur les observations émises

En tant que militant écologiste, je suis heureux de voir que des citoyens ordinaires décident de défendre les « petites fleurs » et les « petits oiseaux ».
En tant qu’objecteur de croissance, je suis heureux de voir que des citoyens ordinaires émettent des critiques et des doutes sur des projets économique.
En tant que militant politique, je suis peiné de l’indigence technique et intellectuelle de la majorité des observations émises.

Les observations, qui à l’heure où j’écris ce texte sont majoritairement opposées au projet, soulèvent cinq points intéressants. Ces points sont aussi relayés par les défenseurs de la pétition en ligne demandant l’arrêt du projet. Ces points sont :

  • L’impossibilité de recycler les panneaux photovoltaïques
  • Le bilan carbone des panneaux photovoltaïques
  • La pollution et l’impact environnemental de la centrale photovoltaïque
  • L’impact sur la production de vin du Domaine Rière Cadène
  • L’impact économique pour le Domaine Rière Cadène

Je reviendrais dans une section spécifique sur l’impact économique pour le Domaine Rière Cadène.

L’impossibilité de recycler les panneaux photovoltaïques

La durée de vie minimale d’un panneau photovoltaïque est de l’ordre de vingt ans. Il n’est pas rare de voir des installations, notamment chez des particuliers, de plus de trente ans être encore en service. Les panneaux photovoltaïques ne connaissent pas d’usure mécanique. Leur vieillissement n’est marqué que par une baisse de leur rendement. Ainsi un panneau photovoltaïque pourrait rester en place pendant plusieurs dizaines d’années, voire un siècle.
Concrètement cela signifie que les panneaux qui sont retirés des installations de production, et donc concernés par le recyclage, sont des panneaux anciens, posés principalement durant les années 1980 et les années 1990. Les panneaux utilisés pour le projet de centrale à Bel Air ne seront pas des panneaux réalisés grâce à des technologies du XXe siècle, mais seront des panneaux réalisés grâce à des technologies du XXIe siècle.
La production de panneaux photovoltaïques est, par essence, un domaine technologique, or il n’échappera à personne que le monde technologique avance à une vitesse très élevée. Le problème de la difficulté du recyclage, voire celui de son impossibilité, se pose pour les panneaux photovoltaïques installés au siècle précédent. Il ne se pose pas en ces termes pour les panneaux installés depuis le début du siècle.

Le dossier d’étude traite du problème du recyclage aux pages 140 et 141. Le démantèle de la centrale est évoqué et, dans ce cadre, le détail de la procédure menant au recyclage des panneaux est précisé.
Le dossier fait notamment référence, page 141, à l’éco-organisme PV Cycle. Cet organisme sert de référence au secteur industriel de la production d’énergie renouvelable. Sur le site Web de cet organisme le détail du cadre législation et de l’organisation de la filière du recyclage sont précisés.
En France le cadre légal est fixé par le décret n° 2014-928 du 19 août 2014 relatif aux déchets d’équipements électriques et électroniques et aux équipements électriques et électroniques usagés.
La filière européenne, ainsi que la filière française du recyclage est en train de se structurer. Dans une vingtaine d’années, le problème du recyclage des panneaux photovoltaïques utilisés pour le projet de centrale sur le site de Bel Air ne se posera pas.
Au final, il faut considérer que si le problème du recyclage se pose pour les installations anciennes datant du siècle dernier, il ne se pose pas pour le projet de Bel Air.

Le bilan carbone des panneaux photovoltaïques

À l’heure actuelle la Chine représente près de 70 % de la production mondiale de capteur photovoltaïque. Il est tout à fait probable que les panneaux installés sur le site de Bel Air viennent de Chine. Sur ce point, nous payons collectivement des décennies de politique imbéciles de la part de l’Union Européenne.
Concernant le bilan carbone des panneaux photovoltaïques, leur origine a finalement peu d’importance.
D’abord parce que la Chine est l’usine du monde et qu’une analyse de l’empreinte carbone des produits importés par les Européens, en général, et par les Français, en particulier, montre que notre niveau de vie n’est pas soutenable. Nous avons choisi de délocaliser la pollution en Asie et en Afrique pour ne pas avoir à subir directement ses nuisances. Attaquer le projet au motif d’un éventuel bilan carbone négatif des panneaux photovoltaïques est hypocrite. Notre mode de vie à un bilan carbone extrêmement négatif et peu de gens cherchent à en changer. Le taux de diffusion des smartphones dans la société est un excellent exemple de ce refus de changement.

Un panneau solaire reste en production entre 20 et 30 ans, l’analyse de son bilan carbone doit donc être réalisée sur cette période de temps.
De nombreuses études ont été menées sur ce sujet depuis vingt ans. Une étude de 2004 du Département de l’Énergie des États-Unis (https://www.nrel.gov/docs/fy04osti/35489.pdf) montre qu’un panneau photovoltaïque produit en 4 ans l’équivalent de l’énergie nécessaire à sa fabrication. Localement, les discussions que j’ai pu avoir ces dernières années avec des gestionnaires de projets photovoltaïques me laissent penser que cette période nécessaire à équilibrer le coût énergétique, et donc carbone, de la production d’un panneau peut être ramené à 3 ans.
À défaut d’étude et d’analyse sur le coût énergétique du transport et du recyclage, je poserais comme hypothèse que ces coûts cumulés sont égaux au coût de production d’un panneau. Ainsi on peut conclure qu’il faudra 6 à 8 ans pour que la production d’énergie des panneaux compense le coût énergétique de construction, le coût énergétique de transport et le coût énergétique de recyclage. La production « nette » d’énergie s’étalera sur une période de 12 à 14 ans.
Le bilan carbone des panneaux peut donc être considéré comme positif, avec un rendement de l’ordre de 70 %.

La pollution et l’impact environnemental de la centrale photovoltaïque

Dans un premier temps il faut rappeler la situation environnementale de la zone où doit s’implanter cette centrale photovoltaïque.
Toute la zone entre l’ancien village du Vernet et Saint-Génis de Tanyères a été fortement dégradée au fil du temps par l’urbanisation du nord de Perpignan. La création, à la fin des années 2000, du boulevard Louis Noguères provoque déjà des problèmes de pollution sur la zone, notamment au niveau de la pollution atmosphérique (gaz d’échappement, entre autres), et, comme tous les axes majeurs, il pose un risque en termes de pollution hydrocarbure des eaux de ruissellement.
L’activité économique du nord de Perpignan a un prix écologique. Ce prix est la pollution récurrente des canaux d’irrigation, dont les plus anciens ont près de mille ans. Pour finir, rappelons à toutes fins utiles, que la centrale photovoltaïque doit être installée sur deux bassins de rétention d’eau. Ces bassins, creusés à la fin des années 2000, sont artificiels et leur réalisation a déjà eu un impact majeur sur la biodiversité locale.
En somme, la zone où la centrale doit s’élever ne peut pas être regardée comme une zone où la « nature » est préservée et fragile. Elle doit être regardée comme une zone anthropisée et déjà victime d’un véritable saccage environnemental, aggravé par l’urbanisation de ces quinze dernières années.
Les politiques et les projets d’urbanisme de la municipalité de Perpignan laissent penser que dans les décennies à venir, aucun projet de remise en l’état ne sera engagé. Au contraire, la zone risque de continuer à se dégrader, centrale photovoltaïque ou pas.

Dans un deuxième temps, il me semble intéressant de s’arrêter sur les observations de Nicolas Gruyer (observation n°20). Même si, venant d’un docteur en biologie, cela me paraît un travail bâclé, fait à la va-vite, et qui relèvent clairement du « mille-feuille argumentatif », ces observations servent de bonnes bases à la réflexion.

  1. Concernant la phase de construction, une analyse des impacts a été réalisée et l’incidence est précisé page 146. Rappelons qu’il s’agit d’une zone qui a déjà subi de fortes modifications causées par l’homme ces quinze dernières années. Si des risques existent bel et bien, le risque zéro n’étant qu’une chimère, ils restent très faibles.
  2. La première partie concernant les risques pour les sols parle de liquides « caloporteurs ». Ces liquides à « hautes températures » ne sont pas utiles dans le cadre d’une installation photovoltaïque. Ils ne servent que dans des installations solaires à concentration, comme celle installée à Llo, et qui est une aberration environnementale. Le deuxième point abordé dans cette partie traite d’un changement de destination des sols, ce qui dans le cas présent n’aura pas lieu, les bassins de rétentions restant des bassins de rétentions.
  3. La deuxième partie concernant les risques pour les sols parle du risque d’utilisation d’herbicides et autres produits phytosanitaires pour lutter contre les adventices. La ville de Perpignan est engagée depuis maintenant plusieurs années dans une démarche « zéro phyto » et la société Quadrant, porteur de projet dans le cas présent, s’engage à trouver des accords avec des éleveurs ovins pour gérer les bassins de rétention. Certes, il faudra être vigilant sur le respect de ces engagements, mais il semble clair que le risque d’une utilisation d’herbicides, qui mettrait en danger la labellisation en agriculture biologique du Domaine Rière Cadène, est lui aussi très faible.
  4. Le premier point concernant l’eau et le risque de pollution n’est qu’une affirmation que rien n’étaye. En effet le nord de Perpignan connaît déjà des problèmes de pollution de l’eau. La création de la centrale photovoltaïque ne changera rien à ce problème. Ce point n’est là que pour faire peur au lecteur distrait.
  5. Le deuxième point concernant l’eau est aussi une exagération. Les panneaux ne doivent être nettoyés qu’une à deux fois par an. Pas plus. La consommation d’eau pour ce type d’opération est faible, surtout comparer à celle des piscines privées et autres équipements de ce genre. On notera aussi, que pour faire répondre au problème du stress hydrique, qui est de plus en plus grave dans les Pyrénées-Orientales, certains viticulteurs réfléchissent à l’utilisation de panneaux photovoltaïques comme ombrières pour leurs vignes. C’est le cas du domaine de Nidolère à Tressere (https://www.actu-environnement.com/ae/news/premiere-centrale-agrivoltaique-France-32539.php4).
    L’agrivoltaïsme semble d’ailleurs avoir le vent en poupe, l’État étant prêt à le soutenir (https://www.mon-viti.com/filinfo/viticulture/lagrivoltaisme-se-developpe-dans-les-vignes-des-pyrenees-orientales).
  6. Concernant le premier point sur l’air, le changement d’albédo, s’il est réel et fort, n’aura pas de véritable incidence sur la production des vignes aux alentours. En effet, la zone concernée par ce changement d’albédo est trop petite pour que l’effet soit significatif.
  7. Concernant le deuxième point sur l’air, là aussi, l’objectif semble être de faire peur au lecteur distrait. Les panneaux photovoltaïques, du fait de leur position et de leur orientation, ne représentent une pollution lumineuse que pour les automobilistes empruntant le boulevard Noguères en direction du nord et par les pilotes d’avion ou d’hélicoptère. Le détail de l’analyse des risques est précisé aux pages 161, 162 et 163.
    Il est surprenant de parler d’un risque majeur de pollution lumineuse pour des matériaux qui ont un albédo proche de 0. Avec un tel albédo, les panneaux ne refléteront que très peu de lumière.
    Concernant la pollution sonore, là aussi la remarque est surprenante. Sauf à considérer qu’elle vise à faire peur. En effet les panneaux photovoltaïques fonctionnent sans pièce mécanique, ils sont donc totalement silencieux. Seuls les onduleurs font du bruit. Ce type d’installation se reconnaît au grésillement caractéristique des appareils électriques. Ce bruit n’est perceptible que de près. Accessoirement, avec l’avenue de la Salanque et l’avenue Noguères, la zone subit les nuisances sonores liées à la circulation automobile sur ces deux axes majeurs du nord de Perpignan. Cela est précisé aux pages 153 et 154 du dossier d’étude.
    Concernant les poussières, la présence de deux axes automobiles à fort trafic a déjà un impact en termes de poussière. La centrale photovoltaïque ne modifiera en rien la situation actuelle.
  8. Une étude réalisée en 2014/2015 par la société Altereo (http://altereo.fr/portfolio-items/perpignan/), portant sur l’impact environnemental du PLU, n’a pas montré un intérêt particulier en termes de biodiversité de la zone d’implantation de la centrale. Les observations réalisées et présentées dans le dossier d’étude pour ce projet vont dans le même sens. La zone étant fortement anthropisée, c’est-à-dire préalablement massacrée du point de vue de la biodiversité, que l’impact de la centrale photovoltaïque peut être considéré comme nul.
    Quant au risque de voir des pollinisateurs être perturbés par la centrale, il est réel. Des mesures d’analyse et, le cas échéant, des mesures de dédommagement pour les exploitants devraient être intégrées au projet.

L’impact sur la production de vin du Domaine Rière Cadène

Plusieurs observations parlent de risques pour la production de vin du Domaine Rière Cadène. Les dangers en question peuvent se classer en quatre catégories :

  • La pollution
  • Les problèmes liés à l’eau
  • Les problèmes liés aux pollinisateurs
  • La production de chaleur par la centrale photovoltaïque

J’ai déjà évoqué les trois premiers problèmes, je ne parlerais donc que de celui que pose la chaleur émise par l’installation photovoltaïque.

De couleur noire, exposés plein sud, avec un albédo proche de 0, les panneaux solaires peuvent monter à des températures de l’ordre de 60°. Les installations photovoltaïques sont pensées de manière à permettre leur refroidissement. En effet, un échauffement trop important durant une période trop longue entraînerait une baisse de leur rendement.
En pratique cela signifie que, malgré un échauffement réel et parfois assez fort, une centrale photovoltaïque ne cause pas de nuisance particulière liées à la chaleur. Si on se réfère aux retours d’expérience des agriculteurs des Pyrénées-Orientales qui exploitent des serres photovoltaïques, le principal problème observé est une baisse de la température, due à un manque de lumière.
À l’heure actuelle, à ma connaissance, rien ne prouve que la production de chaleur d’une centrale photovoltaïque représente un risque réel pour une exploitation agricole.

Avis sur l’impact pour le Domaine Rière Cadène

Il est évident, à la lecture des observations, que le vrai motif d’opposition à ce projet est la peur d’un impact économique négatif pour le Domaine Rière Cadène. Disons le tout de suite, le risque est réel. En effet, avec un modèle économique associant production de vin bio, vente directe et gîte, la présence d’une installation photovoltaïque peut tout à fait entraîner un problème d’image de marque pour cette exploitation.
Comme le fait remarquer Sophie Escande, présidente des Gîtes de France pour les Pyrénées-Orientales (observation 28), le Domaine Rière Cadène a un « fragile modèle économique ». Les entreprises de ce type sont fragiles et ne disposent pas d’une trésorerie suffisante pour encaisser une baisse de leur chiffre d’affaire. En pratique, une baisse de 2 ou 3 % du chiffre d’affaire peut suffire pour provoquer une faillite à échéance de deux ou trois.

Le refus, répété, des pouvoirs publics locaux – mairie, intercommunalité, Conseil département et Conseil régional – de mettre en place des démarches de co-construction pour la réaliser des projets structurant ne peut qu’aboutir à des conflits et à des désastres pour les acteurs économiques locaux. Clairement, dans le cas de ce projet, entre une TPE agricole et un géant de l’énergie, les décideurs politiques locaux ont choisi.
En imposant des démarches de co-construction et de médiation, la mairie et la communauté urbaine auraient pu aider les exploitants du Domaine Rière Cadène à s’adapter à ce changement d’environnement. Une co-construction aurait aussi permis de réaliser une évaluation sérieuse du risque économique et de mettre en œuvre des mesures compensatoires.

La crise que connaît le secteur économique du touriste va sans doute peser lourd dans le bilan annuel du Domaine Rière Cadène. Mais, semble-t-il pour les pouvoirs publics, l’agriculture pèse moins lourd que la production d’énergie.
Dans le contexte socio-économique ce manque d’intérêt pour les TPE, qui confine au mépris, n’est pas acceptable !

Avis sur la procédure

Comme le signalent plusieurs personnes dans leurs observations, le manque de concertation et de dialogue avec les riverains est flagrant.
Certes, le porteur de projet, ainsi que la municipalité et l’intercommunalité, objecteront qu’une concertation a eu lieu en 2019. Mais une seule réunion, au sein des locaux de Perpignan Méditerranée Métropole, ne suffit pas pour pouvoir parler d’une véritable concertation. Il est d’ailleurs fort probable que seuls les acteurs de la production d’énergie renouvelable et des représentants de collectivités territoriales aient été informés et invités. Les habitants et surtout les riverains ne sont que rarement prévenus et découvrent bien souvent l’existence des travaux dans la presse.
Dans le cadre de cette centrale photovoltaïque, les propriétaires et exploitants du Domaine Rière Cadène n’ont découvert le dossier que suite à l’annonce de l’enquête publique !
Il est surprenant, pour ne pas dire choquant, que le porteur de projet n’ait pas cherché à communiquer largement vers les riverains. Il aurait pu ainsi travailler avec eux à la co-construction du projet. Cela aurait évité la polémique actuelle et, sans doute, les éventuels recours que le projet devrait connaître dans les mois à venir.

S’il paraît évidemment que le cadre légal a été respecté, il paraît aussi évident que celui-ci n’est plus adapté. Les enjeux de la transition énergétique nécessitent un cadre légal et réglementaire permettant une réelle co-construction, condition indispensable pour une vraie acceptation sociale de cette transition.
Si une enquête publique n’est pas le lieu le plus adapté pour un débat de fond sur le cadre légal des procédures de consultation, il me semble toutefois nécessaire de signaler que le problème existe et qu’il faudrait bien que la puissance publique y réponde. Sans une évolution vers plus de transparence et d’horizontalité dans la prise de décision, les tensions et conflits ne cesseront de s’aggraver.

Avis sur le modèle économique

Connaissant un peu le milieu de la production d’énergie renouvelable, à mon sens, le modèle économique de ce projet s’apparente à de « l’économie coloniale ». Une entreprise, filiale d’une filiale d’un acteur mondial de l’énergie, vient exploiter une ressource locale sans trop se soucier des gens du coin et sans que son activité n’ait de réelle retombée pour l’économie locale.
Que l’on appelle ça « développement durable », « économie verte », « transition énergétique et environnementale », ce type d’opération n’est qu’une forme assez banale de capitalisme débridé. Le « capitalisme vert » a sans doute de beaux jours devant lui dans les Pyrénées-Orientales.
Ce projet, d’une certaine manière, n’est juste qu’une version moderne de « Tintin au Congo », dans laquelle les Perpignanais jouent le rôle des « bons sauvages ». Mais j’ai bien peur que, sur le long terme, nous n’ayons affaire qu’à des personnages rappelant violemment celui de Conrad : Kurtz (https://www.monde-diplomatique.fr/mav/107/CONRAD/18362).

D’autres modèles de développement des énergies renouvelables peuvent et doivent être mis en œuvre !
Les collectivités territoriales ont largement les moyens de créer des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), pour ce qui est du statut juridique, et de faire appel à la finance éthique (https://www.lanef.com/) et à l’épargne des habitants des Pyrénées-Orientales, pour ce qui est du financement. Actuellement l’épargne disponible dans les Pyrénées-Orientales dépasse le milliard d’euros, alors que les besoins en financement pour la transition énergétique du département est de l’ordre de 300 millions d’euros. Le département n’a pas particulièrement besoin d’aide extérieur pour devenir un département à « énergie positive ».

Les revenus pour notre territoire seront bien maigres aux vues des enjeux financiers. 40 000 euros par an de loyer et un revenu sous forme de taxe de 8 000 euros par an, soit 960 000 euros pour les vingt ans de durée de vie de ce projet. Ce qui est finalement peu au regard de la rentabilité de ce type de projet. En pratique, dans les Pyrénées-Orientales, on peut considérer que pour 1 euro investi le chiffre d’affaire sur vingt ans est de 2 euros. Le porteur de projet peut espérer un bénéfice de plusieurs millions d’euros grâce à ce projet. Bénéfice qui aurait pu revenir aux acteurs locaux si un projet de type SCIC avait été monté.
Les trois SCIC de production d’énergie renouvelable existantes dans les Pyrénées-Orientales (La Ferme d’Escoums, Conflent Énergie, CatEnR) ont montré leur capacité à être rentables, autant sur le plan financier que sur le plan environnemental et sociétal. Une SCIC aurait permis, notamment, d’intégrer le Domaine Rière Cadène d’une façon active, et les revenus liés à cette SCIC aurait largement compensé d’éventuels pertes de chiffre d’affaire dues à la centrale photovoltaïque.
Mais, de toutes évidences, aux TPE, les responsables politiques locaux préfèrent les industriels, au bilan RSE souvent désastreux.

Avis sur la pertinence de ce projet

Un projet de centrale photovoltaïque au sol, installée dans des bassins de rétentions, située dans une zone déjà fortement anthropisée, est tout à pertinent. D’abord il est évident que nous devons décarboner notre production d’énergie. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2018 le charbon, le gaz naturel et le pétrole représentaient ensemble 81,3 % de la production mondiale d’énergie (https://www.connaissancedesenergies.org/laie-publie-ledition-2020-de-ses-key-world-energy-statistics-200828). Le bilan énergétique de la France, publié en décembre 2020 (https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/bilan-energetique-de-la-france-en-2019-synthese?rubrique=19&dossier=170) montre que notre pays est encore très dépendant des énergies fossiles. Celles-ci représentent plus de 43 % de la consommation nette d’énergie de la France.

Face à ces sources d’énergie, riches en CO2, se pose le problème du nucléaire. Outre un problème évident de sécurité, un problème de gestion des déchets (https://reporterre.net/2-3-L-Etat-a-depense-un-million-d-euros-contre-les-antinucleaires-de-Bure), le nucléaire pose aussi un problème de souveraineté énergétique. En effet, la France ne produit pas d’uranium et importe la totalité de son combustible.
Reconnaissons aussi que l’électricité d’origine nucléaire n’est pas franchement pilotable. Il est totalement impossible de faire varier la production d’une centrale nucléaire. En cas d’augmentation de la consommation, notamment lors de pic en hiver, un passage au 100 % nucléaire entraînerait des black-out à répétition.

L’utilisation de bassins de rétention, si elle n’est que partiellement satisfaisante, permet de protéger les terres agricoles. S’il serait préférable que les parkings et les toitures des entrepôts soient massivement équipés en panneaux photovoltaïques, utilisés des espaces déjà anthropisés, où l’impact environnemental est faible, est une idée qui est finalement pertinente.
La production de cette centrale serait injectée dans le réseau de distribution, et non dans le réseau de transport. Cela signifie que la production sera intégralement consommée localement. Ainsi ce projet participe à l’autonomie énergétique de Perpignan et à la résilience du territoire.

Seul point négatif, les investissements dans le développement de la capacité de production d’électricité se font au détriment des investissements dans la réduction de la consommation d’énergie. Une gestion directe de ces projets par les collectivités territoriales, via des SCIC, permettrait de remédier à ce problème.

Conclusion

Mon avis sur ce projet est donc favorable, moyennement deux réserves :

  • Les risques au niveau de la flore et de la faune doivent faire l’objet d’une surveillance de la part des pouvoirs publics. Les associations locales de défense de l’environnement devraient y être associées.
  • Le porteur de projet, ainsi que les collectivités territoriales, doivent impérativement travailler avec le Domaine Rière Cadène pour éviter un impact négatif sur son activité. Il existe des formes juridiques adaptées à ce type de partenariat.

Ce projet participe à la transition énergie de Perpignan. Si son modèle économique et la procédure légale (concertation et enquête publique) sont hautement critiquables, ils n’enlèvent rien à la pertinence du projet.
Les enjeux du changement climatique, qui frappe violemment notre département, et ceux de nos politiques énergétiques sont tels que nous ne pouvons pas faire l’impasse sur ce type de projet.
Seule alternative : la décroissance !

Commentaires

1. Le samedi, décembre 19 2020, 21:36 par Jean Blin

M. Poisse sert un satisfecit au dossier d'étude. Il ignore peut-être que les bureaux d'étude environnementale sont payés par le commanditaire-promoteur du projet photovoltaïque (ces bureaux prolifèrent depuis la mode subventionnée des énergies renouvelables tout comme les capitalistes verts qu'il dénonce qui se jettent, dont Total-Quadrant, sur la bulle financière des subventions diverses aux ENR qu'a créé en 2001 le gouvernement Jospin et son ministre EELV Yves Cochet.
M. Poisse fait même dans le prédictif, lisant l'avenir à 20 ans sur le recyclage des panneaux photovoltaïques : "Dans une vingtaine d’années, le problème du recyclage des panneaux photovoltaïques utilisés pour le projet de centrale sur le site de Bel Air ne se posera pas." On est rassuré.
M. Poisse regrette que le promoteur soit un capitaliste vert qui va accaparer les bénéfices de l'obligation d'achat imposée par la CRE et l'ADEME à EDF pour surpayer la plus coûteuse des énergies intermittentes au lieu que ce soit un "Bénéfice qui aurait pu revenir aux acteurs locaux si un projet de type SCIC avait été monté."
M. Poisse propose que les SCIC installent des énergies renouvelables industrielles sans cependant réfléchir à qui paye le KWh photovoltaïque (73€ contre environ 40€ pour les 90 % et plus des autres énergies qu'éolien et photovoltaïque), les usagers via les augmentations continues du prix du KWh et des taxes CSPE. Que les capitalistes ou les SCIC empochent la manne des renouvelables ne change rien au racket du portemonnaie de l'usager de l'électricité.

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