Et une piste de moins, une !

« Votre demande à l’APF d’un ascenseur dans le Castillet, c’est juste du délire ! »
Les discussions privées, en marge de formations, avec les cadres de la mairie, dans le cas présent ceux du service urbanisme, sont des plus intéressantes. C’est dans ces moments-là que l’on découvre qui sont les gens, au fond d’eux-même.
Et quand on les connaît un tout petit peu, on comprend mieux pourquoi l’aménagement de Perpignan est aussi étrange.
La logique est pourtant évidente !
Mais il faut ouvrir les yeux. Comme dirait Hayao Miyazaki : il faut avoir les yeux dégagés de haine.
Parlons donc du tout nouveau tout beau parking du parc Sant Vicens, le long de la RD22e.

Panneau de signalisation sur le chantier du parc Sant-Vicens

And all our little victories and glories, have turned into parking lots

Projet d’extension du parc Sant Vicens
Projet d’extension du parc Sant Vicens

Route historique, la RD22e relie Cabestany à Perpignan. Depuis au moins les années 80, elle est équipée d’une piste cyclable de chaque côté. Les pistes sont séparées de la chaussée par des plantations, ce qui rend cet axe d’un peu plus d’un kilomètre de long assez agréable.

Du rond-point qui marque la sortie de Cabestany au rond qui marque l’entrée de Perpignan et du Mas Guerido, les deux pistes cyclables sont assez larges et confortables.
Arrivé à Perpignan la partie nord de l’avenue Jean Mermoz devient peu praticable pour les vélos, et la piste cyclable qui se trouve de ce côté alterne entre le trottoir, où il est très difficile de circuler, et un caniveau grandement défoncé.
Du côté sud de l’avenue, la piste cyclable reste correcte jusqu’à la station service, qui marque le début de la commune de Perpignan. Avant les travaux, la piste allait jusqu’à la place Firmin Baudy, carrefour, improbable et nécessitant un réaménagement, où se croisent quatre axes, un peu n’importe comment.

L’endroit où la piste cyclable emprunte le trottoir
L’endroit où la piste cyclable emprunte le trottoir

Le nouveau parking, de 34 places, se trouve le long du côté sud de l’avenue, entre la place et la station service. Ce qui devrait être la sortie du parking marque la fin de la piste cyclable.
Grosso modo, sans être trop de mauvaise foi, on peut considérer que sur le territoire de Cabestany, là où la RD22e est de type périurbaine, les deux pistes cyclables sont de bonne facture, et qu’une fois entrée dans Perpignan, c’est-à-dire une fois en zone urbaine, elles ne le sont plus.
Ce qui surprend le plus, à propos de la disparition de cette portion de piste, c’est que le parking est aménagé sur un espace large et plat, où une piste aurait pu facilement être créée.

Carte sommaire de la zone des travaux d’extension
Carte sommaire de la zone des travaux d’extension

You want to step into my world ? It's a socio-psychotic state of bliss

Comment les usagers de la route vont-ils s’approprier les lieux ?
En pratique le parking empiète sur la direction Perpignan-Cabestany. Ce sont surtout les cyclistes venant du centre-ville et allant au Mas Guerido, voire Cabestany, qui sont gênés. Ceux qui viennent de Cabestany, ou du Mas Guerido, roulent de l’autre côté de l’avenue Mermoz. L’aménagement de la place Firmin Baudy impose aux cyclistes de se déplacer de la même manière que les voitures. Zigzaguer de droite à gauche dans ce carrefour n’est pas tellement une bonne idée, surtout si on veut rentrer chez soi en un seul morceau, et avec ses courses dans ses sacoches.

Les cyclistes remontant l’avenue Mermoz, vers le Mas Guerido, pourront donc adopter deux attitudes, selon leur humeur du moment. La première attitude consiste à longer le parking et à rejoindre la piste cyclable quelques dizaines de mètres plus loin, au niveau de la station service.
La deuxième attitude consiste à tout simplement traverser le parking, sans avoir, d’ailleurs, besoin de monter sur le trottoir. Avantage de la traversée directe du parking, les PMR pourront profiter en toute quiétude du large trottoir.

Le trottoir qui remplace la piste cyclable
Le trottoir qui remplace la piste cyclable

Face à un aménagement, quel qu’il soit, il est fréquent que les usagers et les concepteurs aient deux visions assez différentes de comment l’utiliser.
Pour ce parking il va sans doute en être ainsi.

What we've got here is failure to communicate. Some men you just can't reach.

Bon, la question est : comment en est-on arrivé là ?
On va essayer de faire court et concis, parce que je sens poindre la diatribe de 10 pages.

Logique

Tout le monde agit suivant une logique prédéterminée. Si un comportement vous paraît illogique c’est que vous n’avez pas assez d’informations sur la personne ou la situation pour analyser correctement la logique à l’œuvre.
Par contre un comportement logique peut être irrationnel, mais il s’agit là d’une autre question.

L’entrée annexe de l’EHPAD
L’entrée annexe de l’EHPAD

Prenons l’exemple de l’entrée annexe de l’aile ouest de la Miséricorde (non, légalement ce n’est pas une sortie de secours, elle ne remplit pas les normes de sécurité pour être une sortie de secours). L’escalier a été construit contre le mur pour qu’il n’empiète pas sur la place de stationnement qui se trouve devant la porte. Ainsi l’escalier n’occupe qu’un petit bout de l’espace publique et il y a fort à parier que les travaux n’ont pas fait l’objet d’une demande spécifique, telle que la loi le prévoit.
La conséquence, prévisible, est que le passage est gêné par les voitures qui stationnent à cet endroit- là.
Réaliser une sortie de secours, ou un escalier aménagé de manière à ne pas pouvoir être bloqué par une voiture, aurait été plus contraignant d’un point de vue administratif. Et il aurait aussi fallu justifier de la disparition d’une place de parking.

Un aménagement inadapté – une fausse sortie de secours bloquée par des voitures – a répondu à une logique simple : limiter les démarches administratives dans le cadre de la réhabilitation d’une partie d’un EHPAD.

Rapport de force

Lors de l’une des premières réunions de travail à laquelle j’ai participé en 2010 pour le projet « accessibilité » de l’APF 66, un des responsables nous avait rappelé que la loi est le résultat d’un combat et d’un rapport de force entre des groupes de pression aux intérêts divergeant.
Le rapport de force peut s’imposer soit par la « force brute » (par exemple une guérilla juridique permanente) soit par une « hégémonie culturelle » (qui nécessite un gros travail préalable d’éducation populaire, beaucoup de présence sur le terrain et de contact avec la population).
Lorsqu’un groupe est minoritaire et qu’il ne représente aucune forme de nuisance pour la collectivité territoriale, il n’est pas nécessaire d’associer ce groupe aux différents projets portés par la dite collectivité. Quoiqu’il arrive, le groupe en question gesticulera un peu puis s’écrasera pour, finalement, retourner au silence.
Le principe est simple : les forts écrasent les faibles.

Cahier des charges et coconstruction

Lorsqu’une collectivité territoriale lance un projet elle commence d’abord par rédiger un cahier des charges. Le fait qu’un projet ne respecte pas certaines règles, en particulier, ou la législation, en général, est visible dans le cahier des charges.
Lorsqu’un projet est coconstruit, dans une démarche incluant le plus largement possible les acteurs et les usagers, les problèmes sont beaucoup moins importants, les oppositions et les polémiques beaucoup moins nombreuses.
Si le démarrage d’un projet coconstruit est généralement plus lent, le gain de temps sur la totalité du projet est réel.
Mais la question est celle de la légitimité des acteurs. Cette légitimité se bâtit dans le rapport de force. Cela peut paraître triste et désagréable, mais c’est ainsi.

Au final, il est clair que si l’extension du parc Sant Vicens a été réalisée sans concertation avec Vélo en Têt, seule association perpignanaise à parler de bicyclette, c’est tout simplement parce que cette association ne pèse rien, ni politiquement ni médiatiquement. La stratégie, ou la non-stratégie, mise en œuvre durant les dix ans du mandat de Jean-Marc Pujol par cette association a pour bilan des pistes cyclables aménagées sur des trottoirs ou, plus généralement, n’importe comment, et, par endroit, des disparitions de pistes cyclables.
Face à un ancien maire, à qui la rumeur prête un passage, invérifiable, chez Occident, et nostalgique de l’OAS, la conciliation et le manque d’énergie ne peuvent être interprétés que comme de la faiblesse. Et les faibles se font piétiner.
Dans les six ans à venir, face à un nouveau maire issu de l’extrême droite, continuer à afficher sa faiblesse ne devrait pas permettre d’avoir de meilleurs résultats.
L’extrême droite comprend la force, rien d’autre.

Sometimes, I feel like I'm beating a dead horse

Au moment où j’écris ces lignes, la pétition de Vélo en Têt culmine à un vertigineux score de 158 signatures. Juste pour dire, Alternatiba 66 c’est dans les 80 adhérents et le groupe Facebook de Citoyens pour le Climat PO c’est dans les 2 000 inscrits. La capacité de mobilisation est donc extrêmement faible.
On pourrait rêver d’un rassemblement large, réunissant les partis politiques, les syndicats, les associations et, pourquoi pas, de simples citoyens désirent de voir la situation de Perpignan s’améliorer, surtout pour les plus précaires. On pourrait imaginer ce rassemblement se structurer autour d’une charte, avec, soyons fous, près de 300 signataires. Ce serait une belle « alternative » à la situation actuelle.
Mais, ici c’est Perpignan, le lieu de guerres picrocholines entre des égos qui n’ont jamais rien produit d’utile mais qui ont pris pour hymne la chanson d’Alice Cooper : I wanna be elected.
Quand je vois l’incapacité des acteurs locaux à se fédérer dans la lutte – on se déchirera une fois le pouvoir conquis, pas avant – j’ai mal au dos.
Mais à 2 000 euros le massage, allongé par terre, avec les pieds (pratique illégale de la médecine, 2 ans de prison, 30 000 € d’amende) je me dis que ma rectitude dans les lombaires va me gêner encore un petit bout de temps.

Avec un réseau de 300 personnes dans le premier cercle, et en considérant que chacune de ces personnes peut en convaincre 5 autres de signer une pétition, en quelques semaines on peut espérer 1 800 signatures.
Sans être un chiffre élevé, c’est respectable.
Avec moins de 200 signatures, les pétitionnaires ne montrent que deux choses :

  • Ils sont numériquement insignifiants
  • Ils ne savent pas mettre en place une stratégie de communication

La municipalité pourra donc, sans gros effort de communication, déclarer que l’avis de ces gens-là importe peu. Et elle agira en conséquence.
Les vélos sur les trottoirs, comme disent les élus, ont donc de beaux jours devant eux.

Tant qu’un rassemblement large n’existera pas à Perpignan, et sans doute dans les PO, la situation n’avancera pas. Le rapport de force ne changera pas avant longtemps si les mentalités des responsables politiques et associatifs ne changent pas.
En attendant, Perpignan a droit au règne des idiots utiles du système.
Rien de plus.
Rien de moins.

I like it in the city when two worlds collide
You get the people and the government
Everybody taking different sides

Shows that we ain't gonna stand shit
Shows that we are united
Shows that we ain't gonna take it
Shows that we ain't gonna stand shit
Shows that we are united

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