Le Perpignan que nous méritons tous ?

« La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom »

Il m’avait dit 3 heures de lecture. Il m’en a fallu 4.
Mais je suis lent. Et jamais concentré sur ce que je fais.
Non, jamais.
218 pages, je vous le fais version « prix de gros ». Mais c’est parce que je vous aime.
Parce que sinon…

Sur la forme, je ne dirais pas grand-chose. Le typographe pervers qui sommeille en moi aurait des choses à dire. La feignasse qui tient la barre sait bien que 4 pages c’est long, très long, trop long.
Je dirais juste que Romain Grau a un bac C, ça se sent, et qu’il a fait Science Po, Droit et l’ENA et que ça ne se sent pas.

Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’inverse, dit-on.
Pour la gueule de bois, on repassera.

Millénium

« Ça y est elle a mille ans » chantait Brel, avec ou sans Bécaud.
Le millénaire de Perpignan est clairement le fil conducteur de la vision de Romain Grau. Il faut préparer 2025 et ses célébrations.
À plusieurs reprises l’histoire de la ville est rapidement, parfois grossièrement, évoquée et mise en avant. L’aura de Ramon Llull et de « notre » roi Jacques II (en français dans le texte, Jaume II ça aurait été un poil plus sympa) sont invoquées à plusieurs reprises. Ce sont les seules vraies références à des figures historiques, hormis des élus du coin.

Perpignan fut brillante, Perpignan fut prospère, une gestion catastrophique au cours du vingtième siècle l’a plongée dans le marasme et la crise socio-économique. 2025 doit marquer le moment où la ville redémarre, où un nouveau cycle de grandeur et de prospérité commence.
Un cycle qui doit durer mille ans…, bon je m’arrête avant le point Godwin.
Romain Grau se propose donc d’être le maire qui lancera cette dynamique grâce à un programme et une équipe constitué de gens compétents et modérés. Oui, modérés, parce que les centristes sont modérés. C’est bien expliqué dans le livre.
D’ailleurs les LBD ne sont-ils pas des armes de modération ?

Les idées

« I wish you could see this, 'cause there's nothing to see » et la chanson s’appelle Coma ! C’est dire le niveau de mes références.
Le livre a pour but d’expliquer et de valoriser les lignes de force qui charpentent le programme du candidat LREM. Il expose la philosophie d’ensemble du programme. Et niveau philosophie ça ne vole pas très haut.
Le programme est aussi assez convenu. Il ne faudra pas chercher d’idée disruptive ou une quelconque volonté de sortir de la doxa ambiante dans ces 218 pages. Non, on reste dans du réchauffé.
S’il s’agissait d’un disque on aurait droit à du easy listening pour ascenseur d’immeubles connectés.

Certes il y a de bonnes blagues, comme le parking en taupinière sous le palais des Rois de Majorque, ou l’idée d’aller discuter directement avec des boites chinoises capables de vous faire un port sec.
Mais force est de reconnaître que je suis capable de faire plus de choses, étranges, avec une poêle, un sac de riz et de l’huile d’olive que Romain Grau avec une ville de 120 000 habitants.
Pour l’audace, on repassera.
Pour la vision du futur, on repassera.
Pour les barquettes micro-ondes, on ne passera même pas.

À peu de choses près les idées mises en avant dans ce livre pourrait se trouver dans le programme des 8 autres listes. D’ailleurs si on prend l’urbanisme, mon dada du moment, ce qu’il propose est dans le programme des 8 autres listes. Pas tellement parce que ce sont des idées de bon sens. Non, non. Parce que c’est le seul discours acceptable pour le gros de l’électorat qui n’a pas encore compris les enjeux à venir d’ici une petite vingtaine d’années. Mais les 9 listes à Perpignan ne l’ont pas compris non plus. Pour une fois que les candidats sont à l’image de leurs électeurs…
Il faudrait revenir en détail sur ce point, mais ce sera pour une autre fois.

Lire en creux

« We take for granted, we know the whole story / We judge a book by its cover and read what we want / Between selected lines »
Et comme je suis abonné au tri sélectif, je sélectionne.

D’abord le livre contient pas mal de critiques concernant le bilan de la municipalité.
Romain Grau, élu de 2009 à 2017 se critique lui-même donc. Mais sans l’assumer clairement.
Un exemple concret et facilement vérifiable. À plusieurs reprises il rappelle que le développement de la ville s’est réalisé sans cohérence et sans axe structurant. Il fait commencer ce développement en 1909, date du début des démolitions des remparts, il évite ainsi, grossièrement encore, de parler de la deuxième moitié du vingtième siècle et surtout de la période 1993-2010 durant laquelle Jean-Paul Alduy a été à l’œuvre. Si Perpignan manque d’axes structurants, ce qui reste à démontrer, c’est en grande partie à cause de la dynastie Alduy, dynastie dont il est l’héritier.
De la même manière il veut mettre un terme à la guéguerre imbécile entre le CD66 et la mairie. Là encore il lance une pique contre le numéro 55 de sa liste. Les remarques sur le palais des Rois de Majorque sont là aussi à mourir de rire. Après tout, qui a supprimé le parking devant le palais ?

De nombreuses idées sont mises en avant sans se soucier de la cohérence que nécessitent leurs mises en œuvre.
Il faudrait piétonniser le centre-ancien et lutter contre les bouchons.
Soit !
Mais alors pourquoi vouloir un nouveau parking sous-terrain sous la butte du palais des Rois de Majorque ? Les voitures vont se téléporter de la périphérie au centre façon Star Trek ? De même, et sur ce point les 9 listes disent la même chose, il faudrait remplir les dents creuses et lutter contre l’étalement urbain.
Soit !
Mais vous l’avez vue la carte des dents creuses ? Parce que les remplir c’est favoriser l’étalement urbain, notamment par la création de nouvelles dents creuses.

Sur l’économie, là aussi le parent pauvre des programmes 2020, on ne peut que se poser des questions sur le contact avec la réalité du/des candidat-s.
D’accord, on va redynamiser les activités fortes du département, c’est-à-dire la logistique (la description de Saint-Charles est autant une petite ode, sans doute involontaire, au libéralisme et au non-interventionniste des pouvoirs publics qu’une charge contre ceux qui ont géré le département dans les années 70 et 80), l’agriculture, le tourisme (qui doit se professionnaliser, et sur ce point je suis d’accord avec Romain Grau) et les énergies renouvelables (rions un peu).
À côté de ces secteurs il faudrait mettre le paquet sur les outils permettant l’implantation d’entreprises venues d’on ne sait où.
Par contre sur les 60 pages ou presque traitant de l’économie, une page et demi seulement est dédiée à la création d’entreprise. Et c’est encore pour critiquer le trop grand nombre de structures d’accompagnement. Certes je suis d’accord avec Romain Grau sur ce point, mais un constat, aussi pertinent soit-il, ne suffit pas lorsque l’on veut être maire. Sauf à considérer que, finalement, la création d’entreprise, on s’en fout.
Ce qui est peut-être le cas.

Grandeur et décadence de l’empire de Romain

« J’ai la mémoire hémiplégique / Et les souvenirs éborgnés / Quand je me souviens de la trique / Il ne m’en revient que la moitié » Ma copine s’en plaint souvent, mais ma vie privée ne vous intéresse pas (supposition à l’emporte-pièce certes).
Pour Perpignan la situation est la même.
En pire.

Perpignan est une ville de 68 km². Romain Grau ne semble pas le savoir.
La géographie est une science difficile, j’ai l’impression de me répéter en écrivant cela.
Romain Grau ne voit que son centre. Bon il est centriste vous me direz, mais est-ce vraiment une excuse ?
L’est de la ville est totalement oublié. Pourtant il s’agit de quartiers qui de prime abord lui semblent facilement acquis.
Mais non, ça passe à l’as.
De même pour le Vernet, qui représente près du tiers de la population de la ville. Romain Grau présente la Têt comme un axe structurant, sans se rendre compte que pour lui il s’agit d’une frontière.

Romain Grau imagine aussi un destin de grandeur en déclarant que Perpignan doit devenir l’hinterland de Barcelone.
Bon, moi, quand on me traite d’hinterland je me sens insulté. Mais je suis une petite créature faible, fragile et délicate.
On pourrait vouloir un destin plus noble pour la ville que l’on veut conquérir !
Certes « Londres n’est plus / Que le faubourg de Bruges / Perdu en mer », mais doit-il en être de même pour Perpignan ?
Rêvons plus grand, bordel !
Ou alors assumons notre impuissance !

Oui et alors ?

Les livres programmatiques vieillissent mal. Celui de Romain Grau n’y échappera pas.
Il coûte 10 € et les droits d’auteur seront intégralement reversés à une association caritative.
C’est pas cher, surtout au prix du papier.
Est-ce que ça vaut le coup de l’acheter pour autant ?
Oui, parce que la saison des grillades approche et qu’un peu de papier pour démarrer le feu c’est toujours utile.
Je sais, brûler des livres c’est mal.
Mais je n’ai jamais dit faire partie du camp du bien.
Au contraire même !

« Et je fais celui-là
Qui est son souverain
On m’attend quelque part
Comme on attend le roi
Mais on ne m’attend point »

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