Bitcoin et Monnaies Locales Complémentaires

Ces derniers mois, sachant que je participe à un projet de monnaie locale complémentaire (MLC), plusieurs personnes m’ont demandé mon avis sur le bitcoin.
Cette question est assez amusante lorsqu’elle est posée de but en blanc par un décroissant. Une bonne façon de critiquer les MLC sans doute. Toujours est-il que la comparaison entre les deux démarches est intéressante.

Similitudes

La littérature sur les MLC parle toujours de la fausse rareté de la monnaie. Entre les mécanismes de création (et de destruction) monétaire et la non convertibilité des devises, la monnaie est quasiment devenue virtuelle. La monté en puissance de l’EDI fait qu’une grosse partie de la masse monétaire mondiale n’est plus qu’une simple ligne dans un fichier.
Virtuelle pour virtuelle, pourquoi ne pas faire soi-même sa monnaie.

Une monnaie n’a de valeur et de sens que parce que les gens croient en elle. Sans confiance une monnaie n’est rien. Il est facile de prendre quelques exemples dans la vie de tous les jours :

  •  de moins en moins de commerçants acceptent les chèques.
  •  en France il est difficile de payer avec un billet de 500€ (c’est du moins ce qu’on m’a dit, je n’ai pas vérifié personnellement), en Allemagne ça passe très bien.

Le bitcoin et les MLC ne sont utilisables que si on fait confiance au système. La sécurité des transactions est d’ailleurs un des points critiques du mécanisme de gestion du bitcoin, d’où l’usage massif de la cryptographie.

Le point commun qui peut faire que certains lient les deux démarches est qu’elles visent à échapper au système financier classique. D’une certaine façon le bitcoin et les MLC se veulent « anti-système ».

Différences

Petites différences

La différence qui saute aux yeux lorsqu’on regarde la vidéo de présentation du bitcoin c’est qu’il s’agit d’une monnaie qui se veut mondiale. Par définition une MLC est donc à l’opposé du bitcoin.
En passant, je ne suis pas sûr que beaucoup de MLC vous garantissent de pouvoir acheter des chaussettes en laine d’alpaga. Pourtant, vu la saison…

La vidéo de présentation du Bitcoin.

Comment payer en monnaie locale ? Tout simple : vous adhérez à l’association qui gère la MLC et vous changez vos billets en MLC. l’acquisition est donc très simple.
Comment acquérir des bitcoins ? Trois possibilités s’offrent à vous.

  •  Soit vous mettez à disposition un serveur tournant 24h/24 et de temps en temps le système vous versera 1 bitcoin ;
  •  Soit vous vendez des biens ou des services payables en bitcoin ;
  •  Soit, la façon la plus simple, vous achetez des bitcoins sur une place de marché.

Pas la peine de réfléchir longtemps pour se rendre compte que l’accès aux MLC est plus aisé.
En pratique la montée en puissance du bitcoin (via l’augmentation du nombre de bitcoins en circulation et du nombre de transactions) s’accompagne d’un besoin accru de puissance de calcul, donc ne tablez pas sur votre vieux PC sous Debian pour devenir riche.
Si vous n’avez rien à vendre, pas de bitcoin non plus.
Quant à l’achat, il vous faudra peut-être vider votre LEP.

Le logiciel qui assure le fonctionnement de l’écosystème bitcoin est open-source. Donc si vous avez un bon niveau en C++ (ce qui n’est pas mon cas) vous pouvez y jeter un œil.
Semble-t-il le logiciel limite le nombre de bitcoin à 21 millions.
De plus si vous perdez vos bitcoins, c’est-à-dire si vous ne pouvez plus utiliser le fichier de sauvegarde, ceux-ci ne seront pas remplacés. Cela signifie que le nombre de 21 millions de bitcoins en circulation ne sera jamais atteint.
Si j’étais mauvaise langue je déconseillerais de gérer ses bitcoins sous Windows®.
À l’inverse la masse monétaire d’une MLC n’est pas figée. Elle est même virtuellement infinie. Tout est fonction du dynamisme de la MLC en question.

Décentralisé

La différence fondamentale entre les deux systèmes se situe au niveau de la relation au pouvoir.
Une monnaie locale complémentaire est centralisée. L’organisation qui la gère a un pouvoir de vie ou de mort. Une MLC est adossée à une personne morale, si celle-ci disparaît la MLC aussi.
Cette personne morale décide des conditions d’accès à la MLC, tant pour les entreprises que pour les particuliers. Elle peut par exemple décider de fixer une somme minimale à déposer en banque voire imposer un droit d’entrée, notamment via une cotisation.

À l’inverse le bitcoin est totalement décentralisé.
La seule condition d’entrée est l’installation d’un logiciel.
Celui-ci est open-source, donc facilement diffusable par tout un chacun, écrit en C++, donc utilisable par n’importe quel système d’exploitation (sous réserve d’une compilation sur mesure pour les systèmes exotiques) et, accessoirement, gratuit.
Et comme ça marche via Internet, n’importe qui de n’importe où peut participer. La seule exception étant, à priori, la Corée du Nord.
La particularité du modèle open-source est que même si le créateur abandonne le projet celui-ci peut tout à fait continuer. La preuve, il y a quinze ans j’étais client de Mandrakesoft, aujourd’hui je tourne sous Mageia. Le projet Bitcoin peut donc durer des années, des décennies, voire des siècles. Tant qu’il y aura assez d’utilisateurs et de développeurs, Bitcoin perdurera.

Non convertible

Je m’excuse du raccourci auprès des puristes, mais une monnaie locale complémentaire est une façon de se réapproprier la monnaie centrale. Les MLC sont donc liées au système monétaire classique.
En tant que système monétaire le bitcoin est indépendant des États et des banques, centrales ou privées.
L’argent qui est injecté dans ce système sort littéralement du système classique. Mise à part dans le cas de ceux qui libellent leurs prix en bitcoin, celui-ci n’a que peu de relations avec l’économie réelle.

Dans le système classique la monnaie fonctionne grâce à la croyance (quasi)religieuse que l’argent peut être récupéré auprès des banques sur simple demande.
Avec le bitcoin, l’athéisme est de rigueur.

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Les projets de monnaies locales complémentaires n’apparaissent pas au hasard. Ils comblent des manques du modèle socio-économique dominant.
Techniquement il était possible de créer une monnaie virtuelle circulant sur Internet, le bitcoin a donc été créé. Le bitcoin n’est ni la première ni la seule monnaie virtuelle. Et ça n'en sera sûrement pas la dernière.

Les monnaies locales complémentaires ont des fondements philosophiques, éthiques et sociaux. Le bitcoin a d’abord des fondements technologiques. Après tout l’un des premiers usages des monnaies virtuelles était l’achat d’items pour des MMORPG.
Merci les « farmers chinois » de WoW !

Et tu penses quoi du bitcoin ?

En février 1996 John Perry Barlow diffusait la Déclaration d’indépendance du Cyberespace. Le bitcoin, en ce qu’il tend à l’indépendant vis-à-vis des États et du système financier classique est un prolongement de ce besoin d’indépendance.
Si on rajoute à ça le petit fond de libertarianisme qui parcoure le monde de l’Open source on comprend vite la logique qui se cache derrière. Le but de tout ça est de vivre en dehors de toute forme de contrôle étatique. Après tout, le libertarianisme vise à la disparition de l’État.
Et qui aime payer des impôts ?
Internet est un monde qui est pour l’instant peu contrôlé par les États, dont les dirigeants ne maîtrisent pas franchement le fonctionnement. Le bitcoin est donc une habile solution technique permettant de faire des affaires en tout anonymat et de manière totalement défiscalisé. Les trafiquants de drogue l’on bien compris.
Certains États, dont l’Allemagne en août 2013, ont reconnu le bitcoin comme une monnaie ayant un cours légal. Ainsi ils peuvent récupérer de la TVA, entre autres.
Les critiques venant des institutions, notamment celles de la Banque de France, portent sur l’aspect hautement spéculatif et sur le risque criminogène. C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité.

Au final le bitcoin n’a qu’un intérêt économique pour qui rejette le système étatique. Il ne porte aucune forme de valeur sociale ou éthique. Malheureusement, vu la difficulté à faire évoluer le droit international, il est fort possible que ce type de monnaies continue de se développer.

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